Le concept d’écosystème est souvent utilisé pour décrire les relations qu’entretiennent les géants de l’économie numérique, les GAFAM, avec leurs fournisseurs, leurs sous-traitants, leurs clients et tous les acteurs susceptibles d’évoluer dans leur sillage.
On parle ainsi de l’écosystème Google, qui inclut notamment les fabricants de smartphones qui utilisent le système d’exploitation Android, les éditeurs qui diffusent du contenu sur la plateforme de vidéos YouTube, ou les constructeurs automobiles qui intègrent le service de navigation Waze. En face, on trouve l’écosystème Apple, qui rassemble entre autres les auteurs des applications proposées en téléchargement sur l’iTunes Store – qui en 2017 a réalisé à lui tout seul un chiffre d’affaires supérieur à celui de l’industrie mondiale du cinéma –, mais aussi les fabricants d’écouteurs ou d’étuis pour iPhone, ou encore les commerçants qui acceptent le paiement sans contact Apple Pay.
Un concept apparu en même temps que le web…
Niché au cœur de son écosystème, chacun des GAFAM ressemble désormais à une planète géante, qui attire dans son orbite de multiples satellites, sans avoir besoin de les posséder, ni même parfois d’établir avec eux des relations contractuelles formalisées. Certains de ces satellites parviennent à participer à plusieurs écosystèmes, d’autres sont intégralement inféodés à un seul.
Il est intéressant de souligner que le concept d’écosystème d’affaires est contemporain du web. Il a en effet été forgé en 1993 par le consultant James Moore, dans un article de la Harvard Business Review. Formellement, un écosystème d’affaires est une communauté d’acteurs rassemblés autour des spécifications techniques définies par une entreprise dominante, qui construit ainsi une plateforme partagée. Petites ou grandes, publiques ou privées, les organisations réunies au sein d’un écosystème d’affaires participent à des degrés divers à un objectif commun : accroître la valeur de leurs offres respectives aux yeux des clients. En vertu de l’effet de réseau, plus nombreux sont les clients satisfaits d’un écosystème, encore plus nombreux ils seront : plus un écosystème est riche et répandu, plus il est attractif. Pour autant, le partage de ce surcroît de valeur n’a pas de raison d’être équitable. Microsoft est ainsi bien plus rentable que les fabricants d’ordinateurs qui utilisent Windows, et ses marges élevées sont notamment obtenues au détriment des constructeurs tels que HP ou Lenovo.
…qui enrichit considérablement les théories de la concurrence
D’un point de vue stratégique, le grand intérêt de la notion d’écosystème est qu’elle enrichit significativement la notion de concurrence. Traditionnellement, les concurrents sont des entreprises individuelles qui cherchent à répondre aux mêmes attentes des mêmes clients. Orange, Bouygues, SFR et Free sont ainsi en concurrence pour attirer les consommateurs à la recherche d’un forfait téléphonique à 19,99 euros, tandis que McDonald’s et Burger King s’affrontent pour convaincre ceux qui veulent déguster un hamburger à 4 euros.
Les écosystèmes élargissent cette vision en montrant que dans de nombreuses industries, la concurrence ne se limite pas à des entreprises individuelles, mais oppose de véritables constellations d’entreprises, qui peuvent être clientes, fournisseurs, complémentaires, partenaires ou alliées. Avec les écosystèmes, la concurrence change d’échelle. Pour s’emparer du marché des smartphones aux dépens de Nokia, on a coutume de dire qu’Apple a fait basculer l’industrie des télécoms d’une compétition entre terminaux à une compétition entre écosystèmes. Bien des industries, que ce soit la photo avec Canon et Nikon ; la console de jeux vidéo avec Nintendo, Sony et Microsoft ; ou la musique avec Spotify, Youtube, Apple Music et Deezer, voient ainsi s’affronter des écosystèmes concurrents.
Créer ou rejoindre un écosystème, un choix stratégique majeur
Pour autant, même si la compétition est au cœur de la logique des écosystèmes, ils entretiennent souvent des relations bien plus complexes qu’un simple affrontement, et leurs intrications sont fréquentes. On trouve ainsi des applications Google et Microsoft sur iPhone, le logiciel iTunes d’Apple est présent sur Windows, et la plupart des éditeurs de jeux vidéo veillent à proposer des versions compatibles avec chacune des consoles du marché, et donc à participer simultanément à plusieurs écosystèmes. C’est un peu comme si des objets célestes pouvaient appartenir à plusieurs systèmes solaires en même temps.
Quoiqu’il en soit, choisir de créer un nouvel écosystème ou de rejoindre un ou plusieurs écosystèmes existants – et lesquels – est devenu une décision stratégique majeure pour de nombreuses entreprises, que ce soit dans l’automobile, la banque, la sécurité, la santé ou la domotique.
Au total, même s’il s’agit d’une métaphore très largement discutable (les écosystèmes d’affaires n’ont en fait pas grand-chose à voir avec leur équivalents biologiques, et James Moore a vraisemblablement mal choisi cette appellation), la notion d’écosystème d’affaires permet de mieux comprendre les évolutions de la concurrence et les subtilités de la stratégie. C’est donc un malentendu, mais c’est un malentendu prolifique.
Publié le lundi 01 octobre 2018 . 4 min. 55
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