Vous avez certainement déjà entendu dire qu’en économie, en vertu de la loi de l’offre et de la demande, ce qui est rare est cher. Mais peut-on en déduire qu’en stratégie la valeur d’une offre varie selon sa rareté ? En fait, ce n’est pas si simple. Pour l’illustrer, on peut utiliser la fable de la bouteille d’eau dans le désert.
Imaginez que vous êtes perdu dans le désert et que vous mourrez de soif. C’est alors qu’un individu vient à votre rencontre et vous propose de vous vendre une bouteille d’eau pour 1000 euros. Que faites-vous ? Bien sûr, vous allez devoir accepter de payer 1000 euros pour une bouteille d’eau, sinon vous êtes mort. Mais que pensez-vous du vendeur au moment où vous payez ce prix exorbitant ? Que c’est un escroc et que vous en êtes la victime. Même si votre vie est en jeu, vous avez une idée de la valeur d’une bouteille d’eau et vous savez quand son prix est illégitime. Cette fable illustre ce que l’on appelle les modèles économiques de prise d’otage.
Ces modèles économiques consistent à profiter de la dépendance du client pour imposer des prix très supérieurs à la valeur de l’offre. C’est le cas par exemple des stations-service sur les autoroutes, des sandwiches SNCF, du pop corn dans les cinémas, des restaurants dans les aéroports ou des chambres d’hôtel au moment des grands événements. Dans tous ces cas, le client sait très bien qu’il paye bien plus cher qu’il ne devrait, mais le vendeur tire avantage d’une situation de dépendance pour imposer ce prix malgré tout.
Pour pouvoir exister, les modèles économiques de prise d’otage reposent sur deux conditions.
La première est que les clients doivent être fréquemment renouvelés. En effet, si vous avez déjà été victime d’un de ces modèles, vous tenterez vraisemblablement d’y échapper à l’avenir : vous prendrez une réserve d’eau avant d’aller dans le désert, vous ferez le plein de votre voiture avant d’entrer sur l’autoroute ou vous achèterez votre sandwich avant de monter dans le train. Les modèles économiques de prise d’otage imposent donc que de nouveaux clients se présentent constamment.
Deuxièmement, il faut que l’offre soit indispensable. En effet, face à un tarif prohibitif, vous pouvez toujours décider de ne pas consommer. Même le plus absolu des monopoles est ainsi exposé au substitut de la non consommation, sauf bien entendu si l’offre est véritablement indispensable, comme l’énergie, l’eau ou la nourriture. Dans ce cas, est-il pertinent de conseiller aux fournisseurs en monopole de pratiquer des prix très supérieurs à la valeur de leur offre ? Non, car ils accumulent alors une énergie potentielle négative considérable, celle de leurs clients qu’ils contraignent à payer un surprix, et le jour où le monopole finit par s’ouvrir, du fait d’une nouvelle réglementation ou à cause de l’apparition d’un substitut innovant, toute cette énergie est libérée et le preneur d’otage risque de perdre une grande part de sa clientèle. C’est ce qui est arrivé à France Telecom lors de la déréglementation des communications ou aux chauffeurs de taxi lors de l’apparition de Uber.
Par conséquent, ce n’est pas uniquement la rareté d’une offre qui explique sa valeur. Toute stratégie consiste à légitimer une valeur supérieure aux coûts dans l’esprit des clients. Si cette valeur est illégitime, votre stratégie l’est tout autant.
Publié le mercredi 11 octobre 2017 . 3 min. 24
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