Si vous avez l’intention de lancer un jour une innovation, peut-être serez-vous tenté de forger un mot nouveau pour la désigner. Après tout, il semble cohérent de signaler le caractère inédit d’une offre nouvelle par l’emploi d’une dénomination originale, capable d’attirer l’attention des clients potentiels.
Or, l’expérience montre qu’il est souvent contreproductif d’employer des mots nouveaux pour désigner des offres nouvelles : mieux vaut s’insérer dans la continuité des offres existantes. Vos clients, qu’il s’agisse de consommateurs ou d’entreprises, ont leurs habitudes. C’est d’ailleurs ce qu’on appelle leur expérience. Aucune organisation ne pourrait fonctionner sans la construction d’un corpus de procédures, de règles et de routines, tout comme aucun individu ne pourrait vivre au quotidien sans l’accumulation de comportements acquis. Perturber ces routines, c’est bouleverser vos clients dans leurs automatismes et s’exposer à un risque de rejet de l’innovation.
C’est la raison pour laquelle les innovateurs avisés veillent généralement à réutiliser de vieux mots pour désigner des offres nouvelles. L’emploi d’un vocabulaire déjà connu est rassurant, là où la création de mots nouveaux rend l’adoption plus hasardeuse.
Regardez par exemple votre téléphone. Il s’agit en fait d’un ordinateur de poche, mais on continue à l’appeler téléphone, ce qui permet de s’inscrire dans la continuité d’un appareil plus que centenaire, le bon vieux téléphone, avec lequel il n’a quasiment plus rien à voir. D’ailleurs, lorsqu’il sonne, vous voyez apparaître un menu qui propose de « décrocher ». Demandez-vous depuis combien de temps on ne décroche plus un téléphone. Au moins depuis qu’ils ne sont plus accrochés au mur, c’est-à-dire depuis les années 1930. Pourtant, le mot a perduré.
Le cas de l’informatique, terrain particulièrement fertile en innovations, est encore plus marqué par la préservation d’un vocabulaire ancien, voire techniquement dépassé. On parle ainsi de « clés » pour les supports de stockage USB, de « disques » pour les volumes SSD (dans lesquels vous ne risquez pas de trouver une pièce rotative), de « souris » pour le dispositif de pointage (même si elle a perdu sa queue avec la suppression des câbles), tandis que vous déposez vos « dossiers » sur un « bureau ».
Cette astuce n’est pas nouvelle. Du 16e au 18e siècle, le tubercule d’origine américaine que nous appelons « pomme de terre » en France était désigné sous le nom de « patate », issu de l’espagnol « patata », à partir du mot inca « papa ». Afin de populariser ce légume qui avait mauvaise réputation en France, Antoine-Augustin Parmentier fit de son mieux pour imposer le terme « pomme de terre » à partir de 1773. « Pomme de terre », ce n’est pas exotique, c’est rassurant : après tout, ce n’est qu’une pomme qui pousse dans la terre. Parmentier a d’ailleurs utilisé d’autres stratagèmes pour convaincre les Français de la valeur de ce légume, dont un champ de pommes de terre dans la plaine des Sablons, près de Paris, qui était gardé par des soldats le jour, mais pas la nuit, afin d’encourager les voleurs convaincus de la valeur de ce qui poussait là, ou l’organisation d’un célèbre dîner durant lequel des plats à base de pommes de terre furent servis au roi et à la reine en 1785.
Au total, retenez cette règle simple : n’utilisez pas de mots nouveaux pour désigner des choses nouvelles, vous rendrez ainsi leur adoption beaucoup plus aisée. Vous pouvez aussi méditer cette citation de Nietzsche : « Aussitôt qu’on nous montre quelque chose d’ancien dans une innovation, nous sommes apaisés. »
Publié le lundi 09 décembre 2024 . 3 min. 26
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