Peut-être avez-vous parfois l’impression, lorsque vous utilisez certaines applications, la nouvelle version du système d’exploitation de votre smartphone ou une mise à jour de l’interface de votre réseau social préféré, qu’il s’agit d’un produit encore en développement. Certaines fonctionnalités semblent ne pas fonctionner, des menus ne s’activent pas, voire certaines manipulations entraînent un plantage du système qui vous oblige à tout redémarrer. Vous vous dites certainement que les programmeurs n’ont pas fait correctement leur travail, et que leurs managers ont donné le feu vert de lancement de manière bien trop désinvolte, sans que les vérifications nécessaires aient été effectuées.
Or, cette pratique qui consiste à lancer des produits inachevés est souvent parfaitement délibérée. Elle a été conceptualisée par Reid Hoffman, un des fondateurs de LinkedIn, dont il a été le directeur général de 2003 à 2007, avant de devenir capital-risqueur. Reid Hoffman a ainsi élaboré la notion de « version bêta permanente ». Une version bêta, en informatique, correspond à la pré-version d’un logiciel qui n’est pas encore commercialisé. Instable, la version bêta peut comporter des erreurs que des « bêta testeurs » sont chargés de détecter afin que les programmeurs effectuent les dernières corrections. Dans l’industrie du jeu vidéo, la version bêta peut être ouverte à certains joueurs, ce qui permet là encore de repérer les problèmes, voire être utilisée comme outil de communication, afin d’obtenir une audience médiatique avant même la sortie officielle du jeu.
Certains logiciels peuvent rester en version bêta pendant des années, avant que l’on considère qu’ils ont enfin atteint un niveau de fiabilité véritablement acceptable. Gmail, bien qu’ayant été lancé en 2004, est ainsi resté en version bêta jusqu’en 2009, une fois que des millions d’utilisateurs ont contribué à l’optimiser. Google continue d’ailleurs à proposer une version bêta des futures évolutions de ses principales applications, dont son navigateur Chrome. Là encore, il s’agit d’inclure des utilisateurs volontaires dans la validation du produit.
La notion de bêta permanente privilégie le flou, accepte l’incertain et officialise l’imparfait, de manière à rester adaptable. Quelques grandes entreprises, qui grâce à leur expérience accumulée privilégient l’ordre et l’efficience, cherchent malgré tout à conserver cet état d’esprit. Dans chacun des rapports annuels d’Amazon, Jeff Bezos, a souligné, quels que soient les succès déjà atteints, qu’Amazon en était toujours à son premier jour. De même, Bill Gates, quand il était directeur général de Microsoft, appliquait la même philosophie, en rappelant fréquemment que Microsoft n’était toujours qu’à 18 mois de la faillite.
L’idée de Reid Hoffman consiste à pousser cette logique à son paroxysme. En s’inspirant d’une des devises des logiciels libres, « Lancez tôt, lancez souvent », il affirme notamment : « Si je n’ai pas honte de la première version de mon produit, c’est que je l’ai lancé trop tard. » Bien entendu, cette affirmation s’oppose à la mentalité méticuleuse qui consiste à rechercher la perfection, à promouvoir la qualité totale et à s’assurer en amont de la stricte conformité de toutes vos offres.
Au total, si vous voulez adopter la posture de la version bêta permanente, gardez à l’esprit ce principe : mieux vaut être approximativement à l’heure que précisément en retard.
Publié le lundi 9 janvier 2023 . 3 min. 28
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