La formule « l’humain d’abord » est devenue un mantra managérial. D’ailleurs, elle se décline à l’envie : management humain, manager humain, gestion humaine, pilotage humain, processus humain… Jusque-là, il n’y a rien d’anormal à magnifier l’humain.
Néanmoins, si nous mettons en parallèle cette omniprésence langagière de « l’humain » et le développement exponentiel des maux du travail (désengagement, stress, burn-out, bore-out et même suicides), nous nous rendons très vite compte qu’il y a quelque chose qui cloche. Tout se passe comme si le langage est utilisé pour combler un vide béant laissé par le réel, un réel qui est souvent l’expression d’un « traitement pastoral de l’Homme ». En effet, depuis au moins Machiavel, nous savons que moins une chose existe, plus il faut en parler.
Les organisations ont certes besoin d’humains, c’est un truisme de le dire, mais elles ont surtout besoin de professionnels. Cependant, la rationalité instrumentale qui ne se soucie guère d’aucune autre forme de rationalité rend difficile un vécu de professionnel digne de ce nom, au moins pour deux raisons fondamentales :
•Agir avec humanité ne se décrète car la finalité première d’une entreprise n’est ni le vrai, le beau, le bien mais la capacité à exécuter efficacement l’ordre reçu. Autrement dit, il n’y a pas de sagesse spontanée dans une organisation qui serait la traduction d’une force irrésistible d’humanité. La sagesse organisationnelle n’existe pas car seul un être humain dont les idéaux surpassent les instincts comme disait Paul Valery et conscient des risques qu’il prend, peut être sage car il y a toujours un prix à payer.
• Une action collective qui fait fi des singularités ne peut qu’engendrer irresponsabilité et impersonnalité, les deux meilleurs ennemis du professionnel : dans une organisation faite de femmes et d’hommes, l’humanité véritable ne peut s’exprimer que par le truchement d’une « puissance d’expansion » permise par un environnement capacitant. Aujourd’hui, l’exercice plein et entier des métiers est entravé par plusieurs obstacles : l’amenuisement progressif de la capacité du professionnel à participer activement aux décisions qui impactent son quotidien, la multiplication et la multiplicité des procédures de toute sorte, un étalon du savoir-faire quasi exclusivement quantitatif au détriment de la qualité du travail.
Alors l’humain d’abord ? Je pense que là où l’humain est proclamé, il y est souvent nié. Le désengagement actuel des travailleurs voire leur cynisme vis-à-vis de discours totalement déconnectés du réel n’est qu’un signe avant-coureur d’une stasis, d’une crise politique et morale de l’entreprise. Il ne suffira pas simplement de formuler une raison d’être, il faut aussi s’interroger sur les raisons de l’être comme sujet et en tirer les conséquences pratiques.
Publié le mardi 11 juillet 2023 . 3 min. 22
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