Selon Lichtenberg, « Une des applications les plus étranges que l’homme ait faites de sa raison est sans doute celle de considérer comme un chef d’œuvre le fait de ne pas s’en servir, et, né ainsi avec des ailes, de les couper et de se laisser tomber comme cela du premier clocher venu ». S’il y a un domaine dans lequel cette maxime a tout son sens, c’est bien le management !
Le management, bien que devenu fondamental dans nos vies de travailleurs mais aussi de citoyens, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, souffre de ce que j’appelle le paradoxe de la double ignorance c’est à dire la propension qu’ont de plus en plus de personnes pour qui le management représente un intérêt certain, à ne pas faire le distinguo entre leurs opinions sur le sujet et la « vérité », allant jusqu’à ériger des « lois » et des recommandations basées sur ces opinions, comme un chauffard qui donnerait des leçons de conduite car n’étant pas « conscient » d’en être un. D’ailleurs le chauffard, c’est toujours l’autre.
Nous retrouvons ainsi dans le domaine du management le constat général fait par Jacques Bouveresse sur le recul de la vérité au profit de la sincérité : « nous en sommes arrivés aujourd’hui à une situation préoccupante, dans laquelle la sincérité de la croyance semble autorisée à remplacer sa vérité et à dispenser de toute obligation de donner des raisons ».
Le management est aujourd’hui gangrené par l’abstraction et le formalisme, ce « délire logique », « aveugle au concret et à l’existence » selon les mots d’Edgard Morin, beaucoup de choses ont d’ailleurs été écrites sur le sujet. Néanmoins, ce ne sont là que des conséquences car même les attributs d’une pensée rigoureuse sont désormais ignorés notamment l’impossibilité comme le disait Pascal « de connaître les parties sans connaître le tout, non plus que de connaître le tout sans connaître particulièrement les parties ». Une des causes premières de cette dérive rationaliste et obscurantiste, c’est un management malade d’opinions érigées en doctrines sans qu’aucune autorité n’émerge pour aider à y voir clair et juste.
En effet, alors qu’un art comme la médecine mobilisant une multiplicité de savoirs scientifiques et techniques dispose d’autorités régulatrices, le management comme pratique, bien que devant prendre soin de l’Homme, en est de´pourvu alors que ce dernier devrait aussi normalement mobiliser plusieurs savoirs et techniques car il impacte, par un autre prisme, nos vies et donc notre santé.
Si tout le monde fait autorité, personne ne fait autorité. Alors pourquoi une telle vacance de l’autorité dans le management ?
Si nous voulons être rigoureux, nous ne devrions pas parler de « management », au singulier mais de « managements », chaque entreprise ayant ses finalités opérationnelles et donc son « propre » management, le seul invariant entre les « managements » étant peu ou prou le degré d’humanisme verbal et le degré d’obstination des « managers » pour satisfaire les objectifs qui leur sont assignés quel que soit le prix à payer. Quant à la recherche en management, lorsqu’elle ne s’enfonce pas dans l’extrapolation de concepts et de théories empruntés à d’autres sciences pour se rapprocher de plus en plus de l’essai et ainsi s’éloigner de la science, elle peine souvent à pénétrer la pratique avec un système de « publish or perish » qui a fait émerger une recherche hors-sol dont la finalité n’est que le volume de publications et le nombre de citations par publication.
Il y a donc urgence à redonner corps au management en le positionnant clairement dans les sciences de l’homme et de la société afin d’en délimiter les contours et ainsi donner du sens aux discours et aux outils : il n’y a pas de sens sans limite.
Publié le mercredi 20 mars 2024 . 4 min. 01
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