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A la fin des années 60, deux chercheurs américains, Cohen et March, et un Norvégien, Olsen, ont mené des enquêtes dans les universités nord-américaines** et mis au jour deux notions : "les anarchies organisées" et "le modèle de la poubelle". Deux modèles très intéressants et toujours d’une grande actualité.


Le modèle décisionnel des "anarchies organisées" présente trois grandes caractéristiques :

 

- Le processus de décision y est "problématique", c’est-à-dire que les préférences qui guident les décisions se dessinent au fil de l’action, de façon pas toujours cohérente.
- Il repose sur des séries d’essais/erreurs et toutes sortes de bricolages, et chemine de façon erratique, sans que sa logique soit bien identifiée par les participants mêmes du processus.
- La participation des membres de l’organisation à ce processus est fluctuante, leur engagement varie selon les situations, ce qui rend difficile sinon impossible de savoir qui est vraiment engagé dans le processus décisionnel.

 

Pas de logique, pas de plan établi


Le processus décisionnel de la poubelle peut se définir comme le résultat du croisement de quatre "flux" indépendants : des problèmes, des solutions, des participants, et des choix. Sans qu’il n’y ait véritablement de logique dans ces croisements.

 

On a donc dans ces organisations : des solutions à la recherche de problèmes, des questions à la recherche de réponses, des décideurs à la recherche de décisions à prendre, et des décisions… qui rencontrent des problèmes. Le tout se frictionne sans aucune logique ni plan établi, un peu comme dans une poubelle la boite de conserve vide côtoie la dernière facture d’électricité.


Ces "anarchies organisées" sont en général des organisations où le processus de production dépend d’une technologie complexe et peu matérialisable, comme la transmission de connaissances.


Des décisions prise de manière irrationnelle…


Quand on y regarde de plus près, on constate que les décisions sont prises de trois façons, tout sauf rationnelles : par hasard, par erreur, par déplacement des problèmes, bref, de façon complètement aléatoire. En effet, le modèle de la poubelle est aussi particulièrement sensible aux aléas : par exemple, la présence ou l’absence d’une personne à une réunion peut faire basculer le choix.


Citons des exemples de ce modèle de la poubelle :


- La décision prise en quelques minutes sur des dossiers très complexes
- Des recrutements de personnes à qui on cherche des missions… ensuite
- La production d’études parce qu’il y a des financements
- La mise en place de technologies sans avoir identifié le besoin préalable
- La remise en cause de processus de choix très rationnels par quelques personnes, juste par opposition
- Des décisions contraires à ce qui était prévu du fait de l’absence de participants
- Des problématiques émergentes qui ont soudain la faveur des participants, parce qu’elles permettent d’éviter les vrais problèmes

 

..Qui génèrent le mécontentement et servent de rituel


On observe aussi que la disponibilité et le hasard sont souvent une façon de justifier a posteriori des dépenses déjà engagées, ou des choix peu judicieux. Les décisions prises sont souvent sans lien avec le processus préparatoire et leur annonce provoque souvent la surprise, l’incrédulité, le mécontentement. Tel choix qui était évident n’est pas retenu, telle option préparée de longue date n’aboutit pas, tel dossier qui soulevait l’enthousiasme de tous est rejeté. La cacophonie est souvent de mise.


Il faut comprendre que dans les anarchies organisées, la décision joue un rôle bien différent que dans les autres organisations. La décision est en fait un rituel destiné à confirmer des statuts, des pouvoirs, à tester des relations de confiance. Elle est aussi l’occasion de se retrouver pour se regrouper, faire corps, montrer qu’on existe. Elle justifie aussi l’existence de certains postes ou de certains statuts.


Certes, les universités étaient le terrain de départ des chercheurs ayant mis au jour ces modèles. Elles continuent à tenir leur rang d’expertes en anarchie organisée, mais elles ne sont pas les seules organisations à mériter ce label. Qu’en est-il dans la vôtre ?


**James, G.  March, Decisions and Organizations, 1988, traduction, Décisions et organisations, Dunod, 1991


Publié le mercredi 21 mars 2018 . 4 min. 52

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