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Pénurie de masques alors que nous avions des stocks énormes il y a 10 ans, manque de personnels dans les hôpitaux, sous-dimensionnement des structures d’accueil, insuffisance de matériels médicaux pour faire face à une crise majeure comme celle de la pandémie due au COVID19.


Tous les experts s’accordent pour le dire : les raisons ne datent pas d’hier ou même d’avant-hier mais sont ancrées dans des années de croyance sur ce qu’est une « bonne gestion » du système de santé.


Malgré les cris, les grèves, les manifestations, les appels à l’aide des personnels, cela fait au moins deux décennies que le système de santé français, avec l’hôpital en particulier, est soumis à une cure d’amaigrissement car considéré comme trop dispendieux, mal géré, pas assez efficient.


La méthode le plus souvent mobilisée, et aussi le plus discutée, a été le Lean Management.


Il serait donc assez évident de se dire que le remède a été pire que le mal (ou le supposé mal) et que le Lean Management a failli, car inadapté au secteur de la santé.


Mais la faute relève-t-elle de la méthode ou d’une dérive de cette méthode ?


Ne serait-il pas temps de réviser notre grammaire managériale et tout particulièrement la conjugaison du Lean management ?


Une analyse de 2001 ? intitulée « La fuite managériale devant la complexité : l’exemple historique du Lean Management » de Philippe Lorino, professeur à l’ESSEC, nous livre des clés fort intéressantes et instructives de ce phénomène.


Il nous rappelle que le Lean management, à l’origine lean manufacturing est le nom donné par des chercheurs du MIT au système productif développé par la firme Toyota. Ce système puise ses racines dans les théories de l’amélioration continue développée par Shewhart et Denning (la boucle PDCA : Plan, Do, Check, Act).


Le TPS pour Toyota Production System repose sur trois enjeux de performance clés, mis au jour par Taiichi Ohno.


- Le Muda qui a comme objectif d’éliminer le gaspillage,
- Le Mura, qui consiste à analyser et maîtriser la variabilité de la demande
- Le Muri, qui vise à supprimer la surcharge des équipements et des employés.


L’objectif est de créer plus de valeur pour mieux répondre au besoin du client, avec moins d’effort, moins de stress, moins de charge de travail et de ressources.


On est moins loin de la vision lapidaire du « faire plus avec moins ».


Si on reprend les grands principes du lean management, on peut retenir :


1/ La recherche d’efficacité (do the right things) avant l’efficience (do the things right), c’est la vision qui prime, pas le process,


2/ Une implication directe des opérateurs comme penseurs de l’activité : l’objectif est de s’appuyer sur des collaborateurs compétents et motivés, en mobilisant leur réflexivité,


3/ Une dimension collective de l’activité,


4/ Un apprentissage fondé sur l’expérience, qui permet à chaque site de production de choisir les méthodes qui lui conviennent le mieux. Lorino cite un des pionniers américains du Juste à temps et du Lean, Bill Belt qui réfute l’expression « zéro stock » et lui préfère « one unit less ». Pour lui, il ne s’agit pas de supprimer le stock mais de le réduire pas à pas.


5/ Le rôle clé du « slack organisationnel » ainsi, le lean management préconise de planifier des surcapacités (qui peuvent aller jusqu’à 50 % chez Toyota) pour faire face aux pointes inattendues. On est à mille lieux d’une mise en tension systématique. Le slack se traduit aussi par du temps dégagé pour les collaborateurs, afin qu’ils puissent avoir du temps pour réfléchir et concevoir des actions de progrès.


Le lean tel qu’il a été trop souvent mis en œuvre consiste plutôt à chercher à minimiser les coûts de façon systématique, sur la base d’une vision statique de l’activité, leur faisant prendre le risque de sombrer dans le chaos en cas de retournement, de crise, de variation importante …


Ainsi, de nombreux managers, et autant de consultants définissent le lean comme « élimination des gaspillages » ne retenant des 3 piliers d’Ohno : Muda, Mura et Muri que le premier. Lorino nous cite de nombreux auteurs, chercheurs et praticiens qui prônent cette vision rétrécie du Lean management, et malheureusement la mettent en œuvre !


Ces mêmes experts se détournent de l’attention à porter à la demande, et, plus largement aux parties prenantes, comme le préconise le Lean de façon originelle.


Le dévoiement de la méthode entraine une mise sous tensions des collaborateurs, en gommant toute dimension collective., défaisant ainsi les solidarités inter-métiers.


Enfin, le lean mal compris ignore complètement la dimension « apprentissage » pour se focaliser uniquement sur les composants techniques du Toyota Production system.


Womack, chercheur au MIT et un des auteurs du fameux ouvrage « The machine that changed the world » paru en 1990, fait un constat amer des dérives de la méthode qu’il a contribué à inventer.


Pour de nombreux analystes des situations, ce « lean new look » est « un passeport assez sûr pour l’échec ».  « L’intensification des pressions productives combinée à une faible autonomie dans l’organisation de travail s’avère une impasse, et même fait peser une menace sur l’intégrité physique et psychologique des salariés », comme le rapporte Lorino, citant plusieurs auteurs.


Si on résume, trois grandes confusions expliquent ce « renversement » sidérant :


1/ La confusion entre gaspillage et slack, le matelas de ressources tel qu’est souvent défini le slack, est perçu comme une mauvaise graisse à éliminer,


2/ La confusion entre accompagnement et imposition : les managers au lieu d’être des coaches comme pensé dans la méthode, considèrent, au contraire, qu’ils sont là pour déterminer et imposer la performance optimale à atteindre,


3/ La confusion entre vision dynamique et statique


Lorino considère que managers, chercheurs, enseignants sont tous responsables de cette dérive aux effets délétères, négligeant, fuyant même la complexité pour lui préférer les modélisations statiques et « top down ».


Il nous rappelle qu’il est indispensable et possible de simultanément « agir sans perdre de temps et prendre le temps de penser » …


Il serait bon de s’approprier ce conseil et de réviser notre Lean management….


Publié le jeudi 16 avril 2020 . 7 min. 01

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