Connaissez-vous la stratégie « en tâches de léopard » ? Je pense que non car elle ne figure pas dans les grandes théories qui font référence en sciences du management.
Elle n’est peut-être pas référencée, mais elle existe. Et elle peut être d’une très belle aide pour avancer dans certains contextes.
Regardons cela de plus près et considérons qu’il s’agit d’une approche pragmatique qui vaut le coup d’être identifiée, nommée pour ensuite être testée.
Qui pratique la stratégie en tâche de léopard ? Le meilleur exemple sont les entreprises de téléphonie mobile. Regardons la carte de France de la couverture de leurs réseaux. Nous pouvons constater qu’elle est couverte de tâches, de tailles variées, qui représentent toutes les zones couvertes par l’opérateur mobile. Les zones plus claires sont alors des zones où les réseaux ne fonctionnent pas, ou mal. L’objectif est de multiplier ces « taches », de les agrandir, jusqu’à ce qu’elles couvrent de façon optimale l’ensemble du territoire.
La couverture reste en « tâches », quand on estime que le coût pour la couverture des zones interstitielles est trop supérieur au bénéfice acquis : par exemple, il n’est pas très grave qu’il y ait seulement quelques centaines de mètres sans réseau mobile d’autant plus s’il n’y a pas d’habitations à cet endroit.
Pour les puristes, la stratégie en tâches de léopard, s’apparente à la stratégie en gouttes d’huile, qui relève du même principe. Ce qui les distingue est que dans la stratégie en gouttes d’huile, chaque goutte d’huile s’étend jusqu’à fusionner avec les autres, pour une couverture uniforme du territoire en l’occurrence.
Quand et pourquoi mobiliser la stratégie en « tâches de léopard » ?
Admettons tout d’abord que la stratégie en tâches de léopard peut souvent n’être qu’une formalisation a posteriori d’efforts menés au sein d’une organisation, sur un territoire, sans aucune concertation. Chacun se mobilise sur un sujet donné, qui lui semble important, sans qu’il y ait jonction avec les autres acteurs qui œuvrent au même sujet.
Ce peut être aussi le fruit d’actions qui n’ont pu aboutir, faute de temps, ou d’argent.
Par contre, si on ne part pas du constat mais bien d’une intention, on peut faire d’un ensemble d’actions inabouties et désordonnées une réflexion stratégique.
Imaginons une situation en entreprise : compte tenu d’un contexte particulièrement difficile (la déprime post-covid19 par exemple). Reprise oblige ! L’arbitrage des allocations de ressources se fait au détriment d’actions conçues comme moins urgentes, moins « rentables ». On peut prendre comme exemple la politique diversité de l’entreprise. En temps fastes, cet objectif d’un management de la diversité visant l’inclusion de l’ensemble des salariés était une priorité. En temps de crise et de vaches maigres, les budgets sont coupés, et l’attention à ces sujets n’est plus de mise.
Les personnes en charge de ces programmes de lutte contre les discriminations, d’égalité des chances, de management de la diversité se retrouvent alors quasiment « au chômage technique » : budgets supprimés ou largement amputés, et désintérêt de l’équipe dirigeante.
Les belles actions comme la labellisation « diversité », le déploiement du plan de formation, la campagne de communication, la série de conférences ….sont à l’eau ou reportée sine die.
C’est frustrant, et cette suspension risque de faire sombrer complètement le projet en eaux profondes.
C’est là où la stratégie en tâches de léopard peut avoir tout son intérêt. Il faut alors réactiver tous les petits feux qui sont cachés sous la cendre. Susciter des dizaines de petites actions, de petits gestes, sur la base du volontariat, quel que soit l’endroit de l’entreprise. On agit en mode « guérilla », vite, souplement, en s’adressant à des personnes volontaires, quel que soit le levier de leur motivation à agir.
Patiemment, on parsème l’entreprise de tâches ; au départ petites et rares, puis de plus en plus grandes et plus nombreuses.
Il s’agit bien évidemment d’entretenir ces petites flammes et, le moment venu, les organiser pour un grand rassemblement qui pourra être réorchestré de façon plus orthodoxe.
C’est à la fois simple et compliqué, et il ne faut pas sous-estimer :
- l’énergie à mettre pour susciter l’envie et la mise en action dans des moments où les priorités sont toutes autres.
- L’aspect disparate et hétéroclite de ces actions menées à l’initiative du terrain, sans véritables moyens, qui plus est.
- La difficulté du rassemblement le moment venu. Deux types de réactions peuvent y faire obstacle : l’envie de continuer en franc-tireur car c’est plus excitant, et le crainte de la récupération.
Si la reprise en main ne sera pas une sinécure, au moins, des choses auront été faites, certainement avec plus d’engagement encore qu’avec un plan dument établi, car elles auront été conduites dans un contexte de liberté, qui, comme on le sait attise l’engagement des personnes.
L’action en tâches de léopard, une pratique relevant souvent du pur pragmatisme, mais qui, réflexion faite, peut devenir un levier d’actions quand les raisonnements classiques et bien pensés ont trouvé leurs limites.
Publié le jeudi 09 juillet 2020 . 5 min. 29
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