La France n’est pas « une économie de la rupture technologique. Nous suivons les innovations américaines ou chinoises plutôt que de montrer la voie". Ce constat de Bruno Le Maire est l’occasion de mesurer l’écart entre le bruit médiatique autour de l’innovation et la réalité : le bilan est très décevant malgré les coups de clairon sur les start-up. Vu les moyens publics alloués à l’innovation, on peut même parler d’un grave échec. C’est ce que pointent en moins de 2 ans un ensemble de rapports officiels dont la lecture apporte un diagnostic convergent. Le dernier en date, celui du groupe de travail préparatoire à la loi de programmation pluriannuelle de recherche fait 2 constats très sévères :
- Rapporté aux moyens publics engagés, le système d’innovation français est peu efficace.
- Notre pays ne dispose pas d’une stratégie d’innovation pour faire face aux grands défis sociétaux.
• En 2016, le soutien public a` l’innovation est de 10,5 Md€ contre 3,1 Md€ au total en 2006, dont les 2/3 pour le Cre´dit d’impo^t recherche, en forte hausse continue depuis la re´forme de 2008.
• La France est l’un des pays de l’OCDE ou` le financement public de la R&D prive´e est le plus e´leve´ (0,42% du PIB en 2015)…
• Mais où le financement public de la recherche publique est le plus faible (0,79 contre 1% en Allemagne).
• La France se place au 14ème rang des 20 pays les plus innovants en 2018 selon le Global Innovation Index pour la transformation des moyens investis en innovation en impact économique et sociétal.
La dynamique entrepreneuriale est réelle avec 10 000 start-up créées en 10 ans, sans d’ailleurs d’effets réellement significatifs sur l’emploi. Mais dans le fameux « écosystème d’innovation » à la française, tant vanté par les médias et les décideurs, on trouve en effet un mélange douteux entre la création légitime d’entreprises somme toute classiques et la création d’entreprises innovantes. Comment alors expliquer cette mauvaise performance du syste`me d’innovation français ?
Elle a 5 raisons majeures :
1) Une vision erronée de l’innovation. Le soutien a` l’innovation a le plus souvent cherche´ a` accompagner la montée en gamme des produits ou des services en visant d’abord l’amélioration d’une offre existante. Or les de´fis sont à chercher du côté de l’intelligence artificielle bien sûr, mais aussi et surtout du côté de l’e´nergie, des mobilite´s, de l’agriculture, de la medtech et la biotech, des nanotechnologies, de la robotique etc., ce qui suppose de s’appuyer sur les universités et la recherche. On perçoit là l’écart avec le délire médiatique caricatural autour des start-up, un site web de baby-sitting ayant plus de chance de lever des fonds qu’un projet disruptif.
2) Ces stratégies d’innovation sont coupées de la recherche avec comme conséquence des financements mal ciblés. Les difficultés de financement des deep tech sont récurrentes, même si la BPI essaie bien tardivement de corriger le tir avec son plan Deeptech.
3) L’aversion au risque liée à la culture de la technostructure française, publique et privée, génère des systèmes trop directifs alors que par nature, l’innovation est imprévisible.
4) Les compétences a` la fois financières, scientifiques et technologiques nécessaires pour évaluer la qualité´ des projets sont peu développées en France, l’élite technocratique étant issue des écoles d’administration, de commerce ou d’ingénieurs, mais pas formée à la recherche avec un doctorat.
5) Enfin, l’organisation de l’innovation est kafkaïenne avec une inflation des dispositifs.
- 19 incitations fiscales coexistent.
- Depuis 2006, on est passés de 17 dispositifs d’innovation engageant des crédits à 74 en 2017, soit une croissance de 335 %.
- Les structures se sont multipliées, comme le montre ce schéma surréaliste de la Cour des comptes.
En résumé, la faible acculturation des élites publiques et privées à la recherche a conduit notre pays dans une forme d’impasse, malgré les milliards déversés. On peut méditer le dernier classement Reuters des universités les plus innovantes, notamment sur l’impact des brevets déposés : la France progresse avec 8 universités dans les 100 premières et est en 3e position de ce classement mondial dominé par les États-Unis et l’Allemagne. Partout dans le monde, plus que les dispositifs et incitations, c’est en effet l’existence d’une recherche et d’universités puissantes et autonomes qui permet l’innovation : le capital humain est essentiel.
Publié le jeudi 30 juillet 2020 . 4 min. 58
Les dernières vidéos
Idées, débats
Jean-Philippe Denis 29/11/2024
Les dernières vidéos
de Jean-Michel Catin
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES