Pour les professionnels des RH, cette rentrée est différente des précédentes. Traditionnellement, une rentrée n’est que l’occasion pour des experts de présenter le salon des tendances qui n’ont souvent pas plus de pertinence que les horoscopes du 1er janvier, toujours oubliés à fin décembre. Cette année, les ordonnances sur le travail font l’actualité du droit du travail, des relations sociales et donc de beaucoup de pratiques RH.
On fera dans quelques années le bilan de cette réforme qui devrait normalement – à la différence de lois comme celle sur la pénibilité par exemple – s’appliquer très rapidement. On peut cependant d’ores-et-déjà noter, et cela ne ressortit pas seulement aux éléments de langage du ministre, qu’elle a l’ambition de prendre la mesure de la réalité du monde des entreprises françaises, c’est-à-dire essentiellement des PME et TPE. Celles-ci brillent surtout - à la différence des firmes du CAC40 auxquelles font traditionnellement référence les réformes - par leur extrême diversité. En cela la loi prend en compte une réalité observée déjà par la recherche en management.
Il y a près de dix ans O’Toole et Lawler, deux éminents professeurs, produisaient une étude sur les pratiques de GRH et de management aux Etats-Unis. Rien de très nouveau dans cette étude pour l’observateur attentif du monde des entreprises. L’intérêt de l’étude est ailleurs : les chercheurs avaient effectué la même étude trente ans auparavant et leur constat, c’est qu’en trente ans, rien n’a changé, tout a éclaté ; il y a trente ans, ils voyaient une certaine homogénéité dans les pratiques ou leurs références et, trente ans plus tard, les pratiques des entreprises leur semblent évoluer dans des directions totalement différentes.
Ainsi ils distinguent trois modèles qui ressortissent à des anthropologies multiples, en un mot qui procèdent d’approches du travail et de la relation entre employeur et employé totalement différentes. Dans un premier modèle dit low-cost, les pratiques RH découlent d’une conception de la performance selon laquelle c’est le système, les processus, les organisations, les robots ou les algorithmes qui font la performance et non les personnes ; il y a donc une très faible dépendance de l’entreprise vis-à-vis des personnes qui y travaillent.
La performance, dans le deuxième modèle de l’individualisation, proviendrait de certaines personnes, des talents, des stars, des potentiels. C’est un modèle qui surfe sur les évolutions actuelles d’une société individualiste, « singulariste » comme dit Martuccelli. On va retrouver dans ce modèle ce qui touche à la gestion des talents, à l’individualisation des carrières et des performances.
Dans un troisième modèle, la performance découle d’une forte implication collective dans le projet d’une entreprise. On retrouvera alors les pratiques très concrètes qui renforcent la cohérence, la réciprocité et l’appropriation des collaborateurs, les conditions nécessaires de cette implication de chacun.
Cet éclatement fournit au moins trois enseignements.
Premièrement, il n’y a guère que les journalistes ou les politiques qui peuvent encore se permettre de parler du travail, de l’entreprise, du salarié ou du patron au singulier : la réalité du travail et de la gestion des ressources humaines est plurielle et c’est un déni de réalité de l’oublier ou de le sous-estimer.
Deuxièmement, ces pratiques différentes se retrouvent parfois au sein des mêmes organisations : c’est alors un vrai problème managérial de les faire cohabiter, et les discours impératifs sur la transformation ne suffisent pas à masquer cette difficulté.
Troisièmement, ces trois modèles ne relèvent pas seulement d’une lubie managériale, d’une pétition de principe moraux, ils procèdent également des conditions de business qui s’imposent dans leur très grande diversité aux entreprises.
Si les ordonnances sur le travail aident à prendre en compte cette diversité, ce ne sera pas le moindre de ses bienfaits.
Publié le mardi 03 octobre 2017 . 5 min. 10
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