L'inflation atteindrait 5,4% en Chine. C'est ce que disent les chiffres officiels. C'est déjà beaucoup. Officieusement, il se murmure que ce chiffre pourrait même être largement sous-évalué. Quoiqu'il en soit, la Chine se trouve aujourd'hui dans une situation difficile pour maîtriser ses coûts : en sortie d'usine, les prix évoluent à un rythme de croissance supérieur à 7%, grignotant la compétitivité des exportateurs chinois. Face à cette situation, les autorités n'ont guère de choix et sont obligés de céder sur les salaires pour étouffer la grogne sociale. Une fois encore cette année, le salaire minimum augmentera de 20% en moyenne en Chine et ce ne sera pas forcément suffisant. Il ne fait aucun doute que le mécontentement monte dans l'Empire du Milieu : fin avril, une grève des chauffeurs routiers près de Shanghai a perturbé l'activité dans le port de conteneurs le plus important au monde. C'est bien là que le bât blesse : la Chine ne peut pas se permettre de voir mises en péril ses exportations. Cela s'applique de la même manière pour le monde occidental : le dérapage des coûts en Chine bouscule sérieusement les stratégies d'approvisionnement de nos grandes firmes. Certes, l'on se lamentait du transfert vers la Chine de l'activité manufacturière dans nombre de secteurs, du textile au meuble en passant par l'électronique de loisirs. Mais au moins cela nous a-t-il permis d'importer de la désinflation. La modération des prix permise par le sourcing en Chine a dopé le pouvoir d'achat des consommateurs de San Francisco jusqu'à Madrid, masquant l'insuffisance de la création réelle de richesses dans nos économies. Aujourd'hui, les exemples abondent qui nous laissent penser que ce modèle ne peut plus tenir. Le premier pilier de ce modèle n'est nul autre que le taux de change du yuan renminbi. Envers et contre tout, Pékin a manipulé son taux de change pour qu'il reste accroché au dollar. L'objectif est bien entendu de conserver une monnaie sous-évaluée pour proposer les produits les moins chers possibles pour les consommateurs occidentaux. Cette position devient intenable. Plus le yuan est faible, plus les coûts des importations pour la Chine est élevée : quand on dépend autant des matières premières pour produire et se nourrir, c'est plus que problématique. Aujourd'hui la Chine importe de l'inflation qu'elle va devoir inexorablement répercuter dans ses prix de vente à l'exportation. L'autre pilier de ce modèle était le formidable réservoir de main d'oeuvre à bas coûts de la Chine. Les groupes occidentaux passent massivement commande dans l'Empire du Milieu pour profiter de coûts tellement faibles qu'il est souvent rentable de remplacer des machines par des hommes. Tout indique, là aussi, que cet avantage comparatif chinois est en train de s'estomper. Au rythme actuel d'évolution des salaires, la Chine n'aurait plus d'avantage en termes de coût du travail vis-à-vis des Etats-Unis de l'Europe d'ici la fin de la décennie. C'est-à-dire demain. Les autorités chinoises en ont conscience et se préparent à cette éventualité en orchestrant la montée en gamme de leur production afin que la faiblesse des prix ne soit plus leur seul argument de vente. Mais ces bouleversements mettent également les industriels occidentaux au pied du mur, eux qui ont externalisé une grande partie de leurs processus de production. Songez simplement que dans l'électronique, 80% des composants de base sont sourcés en Chine. Dans l'habillement, 63% des approvisionnements européens proviennent de l'Empire du Milieu, un ratio qui monte même à 76% pour les donneurs d'ordres américains. Subtilement, le rapport de force s'est modifié. On rapporte même que Wal-Mart, le géant américain de la distribution, qui se fait fort de proposer toujours les prix les plus bas, s'est récemment vu éconduire par un fournisseur chinois. A force de demander une baisse des coûts, le géant américain s'est vu répondre que cela n'était plus possible et qu'il fallait aller chercher ailleurs des solutions d'approvisionnement alternatives. Voilà qui était impensable il y a quelques temps encore, sachant que Wal-Mart constitue tout de même le premier client privé de la Chine ! Plus globalement, tous les grands distributeurs occidentaux auraient aujourd'hui des difficultés accrues dans leurs négociations. Ce qu'il faut comprendre c'est qu'il est révolu le temps où les sourceurs occidentaux pouvaient arriver en Chine, mettre en concurrence les fournisseurs et imposer leurs conditions tarifaires. Dans le textile notamment la Chine commence à souffrir d'une pénurie de main d'oeuvre, les employés préférant s'orienter vers des secteurs plus rémunérateurs. Par ailleurs, les entreprises locales ont été fortement encouragées à servir prioritairement leur marché domestique, un marché de plus en plus porteur, conduisant leurs clients à se tourner vers d'autres pays pour s'approvisionner. C'est ainsi qu'un groupe comme Lafuma a dû radicalement diversifier ses sources d'approvisionnement en constatant que ses fournisseurs chinois avaient perdu 20% à 30% de leur main d'oeuvre et ne pouvaient plus tenir la cadence. Cap donc pour les donneurs d'ordre sur d'autres marchés émergents comme le Vietnam, le Cambodge, ou encore le Bangladesh. Dans les supply chains, le near sourcing revient aussi à la mode. Pour s'assurer une livraison rapide, les entreprises ont recours de manière croissante à des pays proches d'Europe de l'Est, du bassin méditerranéen ou au Mexique pour les Etats-Unis. Mais il faut se rendre à l'évidence : ces pays n'ont tout simplement pas l'envergure de la Chine et ne peuvent pas absorber tout le surplus de commandes. En d'autres termes, des hausses de prix, d'une manière ou d'une autre, sont inéluctables pour les produits importés dans les économies occidentales. Cette valse des étiquettes sera surement mal vécue par les consommateurs dans une période de tension sur le pouvoir d'achat en France, au Royaume-Uni ou encore aux Etats-Unis. Mais ce regain d'inflation que l'on croyait définitivement enterrée risque de n'être que la face visible de l'iceberg des changements profonds qui bouleversent aujourd'hui l'économie mondiale. La globalisation n'est plus forcément synonyme de baisse permanente des prix. Dans ces conditions, les donneurs d'ordres occidentaux seront bien obligés de modifier leurs politiques d'approvisionnement voire accélérer la relocalisation de certaines activité en Occident. Voilà qui marquerait l'entrée dans une nouvelle ère de la globalisation avec des prix certes plus haut, mais avec des activités un peu plus équitablement réparties.
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