Le capitalisme semble tout entier mobilisé pour conjurer le risque d’une baisse brutale du prix des actifs. Et il y parvient jusqu’à ce jour. Prêtes à toutes les transgressions, les autorités monétaires et budgétaires vivent la déflation des prix d’actifs comme le risque majeur, celui qui emporterait dans une spirale de faillites en chaîne les agents privés et les institutions financières qui les financent. Mais quel est le prix à payer pour la collectivité de cette super assurance, qui protège d’abord et avant tout les détenteurs de patrimoines et leurs potentiels héritiers ?
Les exigences de rendement sont toujours là
Derrière la résistance des prix d’actifs, mobiliers et immobiliers, il y a des exigences de rendement que l’on connaît que la baisse des taux d’intérêt n’a pas ou peu relâchées. Avec en arrière-plan des banquiers d’investissement, des gestionnaires d’actifs, des analystes qui diffusent leurs référentiels à l’ensemble des entreprises. Il y a des taux d’intérêt maintenus artificiellement bas, même aujourd’hui avec un durcissement monétaire qui demeure très contenu et prudent au regard de la menace inflationniste… et promis à retomber dans un avenir proche, c’est ce que croient dur comme fer les opérateurs de marché, persuadés que les banques centrales ne prendront pas le risque de miner la martingale de l’enrichissement patrimonial. Il y a des tombereaux de liquidité, un allègement de la fiscalité du capital et une prise en charge par les États des surcoûts liés aux crises pour préserver la profitabilité des entreprises autant que leurs débouchés. Les agents publics s’arcboutent sur la sanctuarisation des valorisations en jouant sur tous les leviers.
Avec des résultats bien tangibles. Nous avons maintes fois commenté la résistance des bourses. Mais cela est vrai aussi concernant les prix de l’immobilier. Une correction est certes à l’œuvre, mais il est peu probable qu’elle remette en cause les niveaux stratosphériques préservés jusqu’ici grâce aux taux zéro. Aux États-Unis, notamment, la correction qui semblait être à l’œuvre semble déjà enrayée, les prix des logements ayant déjà annulé leurs pertes de l’an dernier depuis 6 mois.
Le rentier des pays vieillissants, une figure protégée
Si l’on prend un peu de recul en mobilisant des séries longues, l’impression d’apesanteur des prix est saisissante. Même si la temporalité et l’ampleur des phases de corrections diffèrent entre les États-Unis et la France, les grandes tendances sont les mêmes. En France depuis 2000, les prix de l’immobilier ont augmenté 2 fois plus fortement que celui des autres biens, autrement dit que l’inflation courante, sur l’ensemble du territoire métropolitain et 2,5 fois plus sur Paris. Aux États-Unis, le multiple est de 1,6, en dépit du séisme des subprimes. Une évolution en profonde déconnexion avec le coût de la construction. Tout comme elle est en déconnexion avec la décélération de la population. Difficile ainsi de raccorder les prix de l’immobilier à des fondamentaux réels. L’immobilier est un actif spéculatif comme un autre. Son prix ne renvoie plus à sa valeur d’usage. Ce sont les investisseurs fortunés et mobiles, nationaux ou internationaux, souvent multi-propriétaires, qui font le marché, sans lien avec la contrainte budgétaire des résidents. Rappelons-le, en France, 24% des ménages possèdent 68% des logements détenus par des particuliers.
Dans ce monde, les revenus du travail sont mis sous pression, la priorité est donnée à la valeur des actifs financiers et immobiliers. Le rentier des pays vieillissants devient la figure protégée et avec lui l’hyper-riche détenteur de parts d’entreprise et multipropriétaire immobilier. Avec quelles conséquences ?
1. Un effort financier pour l’acquisition d’un logement qui met hors-jeu les classes moyennes et les plus jeunes et les chasse des centres urbains. Le nombre d’années de revenus nécessaires pour l’acquisition d’un logement a en effet presque doublé en 25 ans. Et le sentiment de paupérisation des classes moyennes relève d’abord de ce fardeau. Les dépenses contraintes autour du logement, fonction pourtant cruciale au bien-être des individus, écrasent les autres possibilités de dépense et brident les choix de localisation.
2. Des distorsions de richesse de plus en plus criantes.
3. Un endettement public croissant, et la mise à contribution de tous, pour préserver d’abord la valeur des actifs des rentiers.
Avons-nous alors tant à perdre à différer la correction des prix d’actifs ? Les purges servent à cela, à ré-ouvrir le jeu sur une base assainie. En l’occurrence aujourd’hui, à élargir l’accès à l’immobilier à la classe moyenne. Et, côté entreprise, à briser par exemple le jeu pipé où quelques stars de la cote font main basse sur toutes les Tech payées à prix d’or. Sans souhaiter le grand soir, n’oublions pas que les prix d’actifs surévalués bénéficient à peu et demandent l’effort de tous.
Publié le mercredi 11 octobre 2023 . 5 min. 13
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