La grande flemme, ce serait le nouveau syndrome de la société française. La crise sanitaire aurait modifié durablement nos façons de vivre, de consommer, de travailler, et notamment accru la valorisation du temps libre et de la sphère privée. C’est ce que montrait notamment une récente enquête de l’IFOP conduite à l’initiative de la Fondation Jean Jaurès fin 2022 : 41% de déclarants plus fatigués, 37% moins motivés dans leur travail et 30% moins motivés dans leurs activités du quotidien. Le débat sur les retraites viendrait donc percuter la société française au moment où cette dernière, déjà suspectée d’accorder trop de place au temps libre, serait gagnée par une aggravation de son mal. Mais que savons-nous vraiment de ce syndrome ?
Emploi et taux d’activité au plus haut
Les enquêtes témoignent des aspirations et des ressentis. À en juger par les actes en revanche, pas grand-chose n’étaye a priori cette poussée de flemme :
• Le taux d’activité, c’est-à-dire par la part des personnes travaillant ou recherchant activement un emploi est à son zénith. La mobilisation de la population en âge de travailler n’a jamais été aussi élevée. Un résultat qui résulte d’abord de la mobilisation des plus jeunes du fait d’une forte montée en puissance de l’apprentissage, et des séniors en lien avec l’allongement de la durée de cotisation pour la retraite. Ni appétence nouvelle pour le travail ni désengagement donc, mais d’abord l’effet de politiques publiques ciblées.
• L’emploi lui aussi est au plus haut. Une partie de la hausse récente du taux d’emploi provient certes des indépendants et des alternants. En les excluant, au troisième trimestre 2022, le taux d’emploi dépasse néanmoins son niveau d’avant crise. Mais cette mobilisation apparente recouvrirait-elle une moindre intensité du travail ? Ce n’est pas non plus ce que nous signalent les données concernant la durée du travail. Selon les données de l’Insee ou de la Dares, les heures effectivement travaillées par personne en emploi ont quasiment retrouvé leurs niveaux d’avant Covid en même temps que le chômage partiel régressait.
Les démissionnaires ne se retirent pas du marché
Alors sur quelle base pourrait-on objectiver l’idée d’un nouveau déclin de la valeur travail en France ? Certains mettent en avant la brusque montée des emplois vacants. La faible appétence des Français pour le travail, notamment lorsque celui-ci est pénible, en serait la source. Et certains pointent la forte poussée du nombre de démissions. Mais là encore, les chiffres sont montés en épingle et la prise de recul sur les embardées récentes conduit à relativiser le constat. Oui les démissions ont atteint un niveau record depuis 2008. Mais, rapportées au niveau de l’emploi, elles demeurent en territoire connu dans une période de forte reprise des embauches. Et les démissionnaires ne se retirent pas du marché, mais basculent sur un nouvel emploi, en quête de meilleures conditions, comme en atteste la hausse du taux d’emploi. Établir une causalité entre les démissions et les difficultés de recrutement des entreprises est donc abusif. Si les difficultés de recrutement dépassent leurs pointes de 2001, l’intensité du problème tient d’abord à l’ampleur inédite du stop and go de l’économie, à la soudaineté et à la concentration du rebond, à la violence de la déformation de la structure de la demande sur une courte période et au délai incompressible qu’il faut pour produire les compétences adéquates comme c’est le cas aujourd’hui dans certains métiers spécialisés du bâtiment ou de la santé notamment. La désaffection pour le travail est une explication peu probante.
L’absence d’objectivation ne nous permet pas d’évacuer pour autant ce ressenti bien palpable d’une démotivation dans les enquêtes et de considérer qu’il n’a aucune conséquence sur le terrain. Oui la crise sanitaire a bien laissé des traces. Affaiblissant d’abord l’idée que le présentiel était indispensable à la bonne marche de l’entreprise, et attisant l’aspiration des salariés à autogérer l’organisation de leur travail. La tendance est manifeste. Le télétravail a changé d’échelle comme en atteste la part des personnes travaillant habituellement depuis leur domicile, selon Eurostat. Comme en atteste l’enquête ACEMO, selon laquelle la part du télétravail aurait oscillé entre 15 et 25% de l’emploi salarié jusqu’en avril. Comme en atteste encore la montée de la part des entreprises ayant mis en place un accord de télétravail, y compris parmi les TPE.
Le marché est tendu, et plus que les salaires, c’est sur les conditions de travail que se déplacent maintenant les enchères à l’embauche. Un jeu inégal qui favorise les plus grosses structures et laisse sur le carreau les plus petites en proie à des difficultés d’embauche croissantes.
Publié le lundi 30 janvier 2023 . 5 min. 12
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d'Olivier Passet
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