La crise du Covid-19 nous fait-elle entrer irrémédiablement dans un processus de convalescence qui s’étirera plusieurs années ? La question se pose pour toutes les entreprises.
Certes, l’année 2020 est compromise en termes de chiffres d’affaires et de résultat. Plus aucune entreprise ne se fait d’illusion. La perte immédiate d’activité fait consensus. Elle est évaluée de 33 à 36% du PIB selon les instituts, de Xerfi à l’Insee, en passant par l’OFCE ou la Banque de France. Cette moyenne recouvre une réalité brutale : 50% des entreprises sont à l’arrêt. Ce qui veut dire que la crise opère une saignée de 100% de leur chiffre d’affaires sur une durée de près de deux mois. Autrement dit, une perte de 14-15% de leur chiffre d’affaires sur l’année.
Une fois constaté cela, deux questions se posent pour les entreprises. 1) A quel horizon peuvent-elles espérer retrouver un niveau normal d’activité ? C’est l’enjeu de la récupération. Ou mieux, 2) peuvent-elles espérer une phase de suractivité compensatrice durant laquelle elles effaceront une partie du manque à gagner du confinement ? C’est l’enjeu du rattrapage.
80 Md€ d’épargne forcée côté ménages
En effet, les mesures de confinement et de distanciation sociale ont paralysé chaque jour 35% de la consommation du 17 mars au 11 mai et au-delà avec la sortie graduelle. Cela veut dire une épargne forcée considérable, des encaisses liquides qui pourraient potentiellement faire flamber la dépense et l’activité après l’été. C’est de l’ordre d’une centaine de milliards de dépenses qui seront stérilisées au premier semestre 2020, et malgré le décrochage du revenu des ménages — de l’ordre de 20 milliards lié au dévissage du revenu des indépendants, à la décote du chômage partiel, à l’effondrement de l’intérim, ou à l’évaporation des CDD courts notamment — ce sont 80 milliards d’encaisses liquides qui se retrouvent disponibles pour armer des dépenses de rattrapage au second semestre 2020. Sur le papier donc, même avec des revenus et un emploi dégradés, l’économie pourrait connaître une phase de surrégime puisque la fameuse France des fins de mois s’est constituée, malgré elle, un bas de laine.
Services : des comportements modifiés pour longtemps
Cette issue heureuse, on ne la verra pourtant pas. Il n’y aura ni lendemain qui chante ni même un choc adouci pour plusieurs raisons, quand bien même les places boursières redémarraient avec fracas.
La première raison, évidente, c’est qu’il n’y aura pas de retour rapide à la vie d’avant. Si l’on pouvait encore espérer il y a quelques semaines une euphorie de la libération, un rush dans tous les secteurs aujourd’hui prohibés qui sont au cœur du lien social (la restauration, les cafés, le tourisme, le loisir, la culture, les parcs, etc.), cet espoir est douché. Les contraintes de distanciation sociale pèseront encore longtemps sur toute la sphère du superflu. A cela, il faut ajouter toutes les mesures de protection qui continueront à réfréner les comportements de dépense des seniors, les comportements de défiance ensuite qui vont continuer à peser sur toutes les activités qui impliquent de la promiscuité et des contacts interpersonnels, autrement dit pratiquement toutes les activités de services. Et quand bien même cette défiance serait-elle levée dans quelques mois pour ces activités, on bute sur une autre réalité indépassable. Ce qui est perdu à un moment donné (une collection de printemps, des vacances estivales, un festival…) n’est tout simplement pas récupérable. Les effets saisonniers interdisent toute seconde chance.
Consommation de biens durables : pas de sursaut à attendre
Ces 80 milliards, à défaut de prendre le chemin des services, pourraient alimenter un sursaut des dépenses de biens durables (automobile, équipement), de l’investissement immobilier ou des dépenses de réparation et constituer de ce fait un moteur de rebond. Sauf que de ce côté, on butte sur deux autres écueils :
1. Le butoir des capacités en ce qui concerne toute la sphère matérielle de la production. Pour rattraper, il faudrait produire plus, et pendant plusieurs mois. Autrement dit, immobiliser des moyens supplémentaires alors même que le surplomb de production est par nature transitoire. Il s’agit là d’une injonction paradoxale. Dans la plupart de ces secteurs, ce que l’on peut attendre au mieux, c’est la restauration des niveaux d’avant-crise.
2. La sphère matérielle est précisément celle qui recourt le plus aux importations. Autrement dit, même si la consommation avait la velléité de rattraper, son contenu en importations risque d’être très élevé.
Certes, la normalisation des niveaux de production dans nombre de secteurs va créer l’illusion d’un rebond. Mais derrière ce trompe l’œil, il y aura un emploi, un pouvoir d’achat et des niveaux de dette dégradés qui pèseront sur la dynamique de la croissance à moyen terme. Cela, on peut déjà le dire avec une quasi-certitude. Pour échapper à cette fatalité, il nous faudra quelque chose d’extraordinaire. Et cette chose extraordinaire ne peut être que l’annulation des « dettes Covid ». Alors ne tardons pas à le dire pour agir sur les anticipations, car plus on attend en la matière, plus on laisse jouer les effets récessifs de second tour, plus la note sera salée et moins cette mesure de la dernière chance sera efficace.
Publié le mardi 21 avril 2020 . 5 min. 38
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