La longue période de zéro qu’ont traversée les économies a souvent été présentée comme un étouffoir de la profitabilité des banques. Plus précisément comme un facteur d’écrasement de leurs marges nettes d’intérêt. D’autant que leurs surcroîts de liquidité placés auprès de la BCE étaient soumis à des taux négatifs. Mais en vérité, atteintes sur leur cœur de métier, elles se sont largement rattrapées sur les volumes et sur les commissions, notamment sur les activités de gestion. Elles ont de surcroît utilisé cette période de facilité monétaire pour assainir leur bilan. Et elles découvrent aujourd’hui que le passage d’un régime de taux très faible à un régime de taux plus élevé se révèle être plus fragilisant que profitable à court terme.
Une lente vitesse de diffusion
Certes, la remontée des taux sur tous les segments du crédit accroît les recettes brutes d’intérêt. Côté entreprises notamment (+3,2 points en moyenne entre décembre 2019 et juillet 2023). Mais aussi côté ménages (+2,4 points en moyenne). Néanmoins, cette hausse ne concerne que les nouveaux prêts octroyés, n’affectant qu’à la marge le rendement moyen des prêts à l’actif des banques. Et cette vitesse de diffusion à l’ensemble du stock est d’autant plus lente que les prêts ont été contractés par le passé très majoritairement à taux fixe.
Effet sur les ressources bancaires
Du côté des ressources bancaires, la remontée des taux demeure partielle également, ne concernant pas ou presque pas les dépôts à vue. Néanmoins, elle affecte immédiatement l’ensemble des encours des produits rémunérés qui pèsent pour plus de la moitié des encours. Et sur l’ensemble de ces produits, la hausse est significative. Entre les dépôts à terme et les produits d’épargne réglementée, les hausses de taux de rémunération s’étagent de 2 à 3 points depuis décembre 2019. Comme pour l’actif, mais portant sur une base bien plus large, de façon immédiate, on l’a dit. À cela s’ajoute un second phénomène qui alourdit le coût des passifs bancaires : le report des agents privés sur les produits rémunérés en période d’inflation, produits qu’ils avaient délaissés en inflation zéro. Ce déplacement s’opère ainsi à très grande vitesse. Aussi bien du côté des entreprises que des ménages. Pour ces derniers, on assiste à une très nette contraction de la part des dépôts à vue et des livrets ordinaires, non ou peu rémunérés, et à une forte montée en puissance des livrets réglementés et des dépôts à terme, lesquels redeviennent nettement majoritaires. Ce déplacement encore inachevé contribue aussi au renchérissement du coût des ressources bancaires. Dès lors, sous le double effet de la hausse des taux d’intérêt et du changement de la structure de l’épargne financière, le coût de l’encours des dépôts au passif des banques (à vue, à terme, livrets, etc.) s’est accru de près de 1,2 point depuis décembre 2019. Et il faudra près de deux années, en France ou en Allemagne, où la part des crédits à taux fixe est très majoritaire, pour que la hausse des taux à l’actif rattrape les effets du renchérissement du passif.
La qualité de l'actif bancaire en jeu
Deux autres éléments de fragilisation de la rentabilité bancaire doivent être mentionnés également à court et moyen terme. Premièrement, le risque de dégradation de la qualité de l’actif bancaire. La remontée des taux, dans un climat de ralentissement économique, accroît le risque de défaillance des emprunteurs. Le poids des créances douteuses concernant les entreprises était notamment retombé à un niveau exceptionnellement bas dans un environnement d’argent quasi-gratuit, réduisant les besoins de provisions des banques. Dans le contexte de remontée durable des taux qui se précise aujourd’hui, il est probable que l’accroissement des défaillances altèrera la qualité des bilans. Partant du taux historiquement bas en octobre 2022, le poids des créances douteuses remonte très graduellement depuis, marquant ce qui pourrait devenir un point d’inflexion.
Une épée de Damoclès : les moins-values latentes des actifs obligataires
Deuxièmement, il faut mentionner l’épée de Damoclès que constituent les moins-values latentes de l’actif obligataire des banques. La hausse des taux implique en effet mécaniquement une diminution de la valeur des obligations sur le marché secondaire, qui se réaliserait dans le cas improbable d’une liquidation de ces titres. Dans ces derniers stress tests, la BCE minimise le risque d’un tel scénario de type Silicon Valley Bank qui a été fatal à cette dernière en mars dernier. Il n’en reste pas moins que rode sur les fonds propres des banques de la zone euro une menace de dépréciation de leurs fonds propres pouvant atteindre 73 à 155 milliards d’euros dans le pire des cas.
Bref, la remontée des taux, censée redonner de l’oxygène aux banques, est un processus semé d’embûches à court terme, et plutôt pénalisant pour la profitabilité des institutions françaises dans les trimestres à venir.
Publié le lundi 25 septembre 2023 . 5 min. 09
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