Les bourses ploient, mais elles ne rompent pas. Certes, entre les plus hauts de début d’année et les points bas de février, il existe un écart de l’ordre de 12-13%. Gros tangage donc que l’embrasement militaire en Ukraine peut amplifier encore, mais qui n’efface pas les gains de 2021. Cette absence de krach témoigne d’une incroyable résistance des marchés face à l’amoncellement des catastrophes. Un conflit majeur vient d’exploser aux frontières de l’UE, comportant d’énormes risques de conflagration en chaine, géopolitique et économique. Le cœur du brasier énergétique n’est toujours pas sous contrôle et le conflit promet de le raviver. L’inflation s’étend et de nouvelles pénuries menacent de s’ajouter à celles qui sévissaient déjà. Les banques centrales multiplient les annonces sur un changement de cap restrictif à horizon rapproché. À cela s’ajoute une bonne nouvelle dont les marchés ne raffolent pas : la décrue rapide du chômage aux États-Unis comme en Europe, assortie de difficultés de recrutement grandissantes et d’enchères sur les salaires dans les pays proches du plein emploi.
Mieux encore, les bourses font preuve d’une étonnante capacité à rebondir et à effacer leurs pertes à la moindre éclaircie, comme elles l’ont montré dès le lendemain de l’invasion russe. Les investisseurs jouent sur la nervosité pour rechercher quelques prises de bénéfices à court terme, sans se retirer à long terme, maintenant les cours en apesanteur. Ces plateaux de forte instabilité peuvent néanmoins être le prélude d’une grande culbute, on le sait. Mais derrière ce sang-froid, il y a des causes plus solides.
Un environnement de croissance et de profitabilité
Premièrement, si les marchés n’ont plus un environnement de décrue des taux d’intérêt pour doper les cours, ils ont en revanche celui de la croissance et de la profitabilité. Les grands groupes ont réalisé des profits record et en forte croissance au cours des derniers trimestres. Ceux du S&P500 sont stratosphériques, portés par les géants qui dominent la cote : les Tech, le e-commerce et la pharmacie pour qui la crise sanitaire a constitué une véritable rampe d’accélération. Idem en France, où les multinationales du Cac 40 devraient engranger 137 milliards de bénéfice cette année, un record historique assorti de versements de dividendes et de rachats d’action tout aussi historiques. Avec une dizaine d’entreprises qui ont connu l’année la plus faste depuis leur création, portées par un contexte de prix ou d’activité exceptionnels : de TotalEnergies et ArcelorMittal boostés par les prix de l’énergie et des matières premières, en passant par les banques, les fleurons du luxe ou Schneider Electric porté par la transformation climatique ou encore le géant des centres d’appel Teleperformance. Mais chose remarquable, des entreprises encore en sous-régime sont profitables avec des bénéfices record pour Airbus et en très fort redressement pour Renault sans parler de l’insolente santé financière de Stellantis.
Les investisseurs ne croient pas (encore) en une dérive inflationniste
La seconde raison de cette résistance des marchés tient au fait que les opérateurs ne croient toujours pas en une dérive inflationniste durable en dépit des alarmes. La remontée des taux longs doit être relativisée. Les taux à 10 ans n’ont toujours pas retrouvé leurs niveaux d’avant crise. Ils incorporent des anticipations d’inflation à 10 ans qui entérinent le maintien dans un régime de faible inflation et une réponse très graduée et limitée des banques centrales. Et loin de se laisser impressionner par les dérives actuelles des prix, et les contretemps d’un retour à la normale sur le front des approvisionnements, les investisseurs continuent à valider le scénario d’une autocorrection de l’inflation, par le seul jeu de la concurrence, sans intervention musclée des banques centrales.
Enfin, troisième et dernière raison : la structuration du marché autour de professionnels de la gestion, hyper concentrés, limite les grandes paniques moutonnières sur le flottant. Les price-makers tiennent le marché et l’on déjà très fortement repositionné vers les valeurs les moins cycliques.
Le régime de rattrapage actuel est menacé
Il n’en reste pas moins, que le marché, privé de l’artifice de la baisse des taux, a plus que jamais besoin de la profitabilité pour justifier les cours actuels. La moindre incartade est durement sanctionnée, comme en témoignent les récents déboires d’Hermès ou de Meta (ex-Facebook). Or, le régime d’hypercroissance et d’hyperprofitabilité que nous connaissons aujourd’hui est tout sauf un régime permanent. C’est un régime de rattrapage doublement menacé :
- à court terme par les risques d’embrasement sur les matières premières,
- à moyen terme par le nouveau rapport de force entre travail et capital qu’instaure la décrue du chômage et qui porte en germe une pression durable sur les salaires.
Au-delà du fracas de l’instant, la seule chose que nous savons, c’est que le régime de surprofitabilité que nous connaissons n’est pas extrapolable. Un nouveau régime permanent est en gestation brouillé par les chaos et les euphories du moment. Face à l’incertitude, la bourse se nourrit encore d’espoirs. Si elle doit déchanter, ce sera plus tard. Quand ces espoirs seront mis à l’épreuve d’un régime permanent dont nous ne connaissons pas encore les contours.
Publié le mardi 1 mars 2022 . 5 min. 35
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