Jusqu’où peut aller la hausse des taux d’intérêt et quels dégâts cette hausse peut produire sur l’économie ? En la matière, c’est la FED, forte de la suprématie du dollar, qui donne le LA aux autres centrales. Et ce qui frappe depuis mars 2022, c’est la concentration et l’ampleur de la hausse des taux directeurs de la FED : 6 hausses en l’espace de 8 mois, dont 4 consécutives de 0,75 point de base. Regardons où nous en sommes, et à qui cela fait-il le plus de mal.
Une faible incitation à investir dans l’immobilier
Contrairement aux attentes, ce ne sont pas les marchés boursiers, dont on pouvait craindre la sur-réaction et le panurgisme après 10 ans de régime d’argent gratuit qui ont été le plus déstabilisés. Les taux directeurs américains sont à leur plus haut niveau depuis 2007. C’est beaucoup en variation. Mais c’est finalement peu en niveau pour une politique qui se veut répressive à l’égard de l’inflation. Permettre aux banques de se procurer de la liquidité à un taux de 4% alors que l’inflation évolue dans une fourchette de 8-9% depuis mars est une totale anomalie : les taux d’intérêt à très court terme ne protègent pas les prêteurs de l’érosion de l’inflation. Et l’on pourrait penser qu’à ce stade, la politique de la FED ne fait pas mal à grand monde, si ce n’est aux épargnants.
Ce n’est pas tout à fait exact. Ce n’est pas vrai pour les banques qui à ce niveau de coût de la liquidité voient se rétrécir leurs marges d’intérêt lorsqu’elles prêtent à plus long terme. Emprunter à 4% quand les taux longs à 10 ans sans risque se situent à 3,7% limite les possibilités de marge. La pente des taux (écart entre taux longs et taux courts) est déjà négative. Et c’est d’abord par ce mécanisme que la Banque centrale entend modérer le crédit.
Ce n’est pas vrai non plus pour les ménages, quand ils doivent emprunter pour l’achat d’un logement. Contrairement à la période qui a précédé la crise des subprimes, la structure du crédit hypothécaire est beaucoup plus saine :
1. la part à taux variables est bien plus faible (5-6 % des encours), modérant l’exposition des accédants au risque de remontée des taux et alors même que la récente inflation salariale tend à alléger le poids du service de la dette ;
2. le taux de défaillance était proche de ses plus faibles niveaux depuis 30 ans cet été.
En revanche, aujourd’hui, emprunter à taux fixe de 6-7% et rester bloqué sur ce niveau pendant 20 ou 30 ans, expose à un risque conséquent, à moins de considérer que les salaires continueront à progresser au rythme de 5-6% comme en 2022, ce qui est très peu probable. Il y a aujourd’hui une très faible incitation à investir dans l’immobilier. Et le marché américain en porte déjà la trace, avec un reflux des mises en chantier et un début de correction sur les prix.
Risques sur les « prêts à effet de levier »
Contexte de taux compliqué également pour les entreprises. Non pas pour les grands comptes qui disposent de nombreux leviers pour amortir la majoration des charges d’intérêt, par la hausse de prix, en passant par les pressions sur la sous-traitance ou la masse salariale. Mais surtout pour les plus petites qui ne disposent pas des mêmes ressources. Celles notamment qui ont un important besoin de fonds de roulement et qui dépendent du financement à court terme. Ce sont les plus exposées à la remontée des taux courts et au risque de défaillance lié à la montée des charges financières.
À ce stade, la remontée modérée des taux à long terme amortit le choc, concernant les opérations d’investissement. Si les opérateurs ne se trompent pas sur leurs anticipations d’inflation à long terme, le niveau des taux à 10 ans actuels porte les taux d’intérêt réels (c’est-à-dire diminués de l’inflation) à 1,3%. Un taux proche du potentiel de croissance et encore en deçà des niveaux des années 2000. Rien de très brimant a priori. Et alors que les investisseurs exigent des rentabilités à deux chiffres aux entreprises, à ce niveau de taux d’intérêt, et même au-dessus, l’effet de levier a encore de beaux jours devant lui, d’autant que la majorité des prêts s’opère à taux fixe.
À l’exception de ce que l’on appelle les « prêts à effet de levier », dette largement à taux variable utilisée pour financer des entreprises les plus risquées. Ce sont notamment les sociétés de capital-investissement qui les utilisent pour aider à financer leurs rachats d’entreprises, les entreprises acquises assumant le fardeau de la dette. Ces entreprises étant endettées parfois à plus de dix fois leur résultat opérationnel (EBITDA). Avec une couverture contre le risque de hausse des taux qui demeure partiel. Le plus gros risque de craquement est là. Ces montages juteux ont prospéré dans un contexte de taux zéro où les investisseurs étaient en quête de rendement positif, avec en arrière-plan une exposition des banques. Ce n’est pas un hasard si la BCE pointe la Deutsche Bank et BNP Paribas pour ne pas avoir respecté son conseil de diminuer leurs activités dans les prêts à effet de levier. L’étincelle peut venir de là. Elle atteindrait par ricochet les banques, mais aussi les grands groupes exposés à la dépréciation de leurs acquisitions, et in fine la bourse dans son ensemble… Et même les assureurs qui jusqu’ici voyaient une bouffée d’oxygène dans la remontée des taux.
Pour l’instant ça passe. Il y a de la liquidité en réserve. Les marchés peuvent surement absorber 1 ou 2 points de hausse supplémentaire… Mais au-delà, ça casse.
Publié le mercredi 30 novembre 2022 . 5 min. 48
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