Xerfi Canal présente l'analyse d'Olivier Passet, directeur des synthèses économiques de Xerfi
Le prix Nobel d'économie fait partie des récompenses les plus contestées. Contestée d'abord car la discipline fait figure de pièce rapportée, introduite en 1968 et non mentionnée par Alfred Nobel. Contestée ensuite parce que ce qui est scientifique est supposé être réfutable. Et que l'économie demeure une science molle
D'où un sentiment d'arbitraire dans l'attribution des couronnes.
D'où aussi le soupçon d'une capture du prix par des courants dominants. Un risque de polarisation lié au fait que les lauréats passés participent au processus de nomination, mais très exagéré car, au fond, la procédure est relativement opaque, complexe et est normalement conçue pour éviter ce type de dérive. Il n'en reste pas moins, que la domination américaine est massive avec 43 couronnes sur 70. Et celle de Chicago encore renforcée cette année, avec un total de 12 prix pour cette seule université, bastion de l'ultra-libéralisme américain.
Les déclarations des deux lauréats de 1974 résumaient déjà bien la situation, entre Friedrich Hayek qui contesta la pertinence, de ce prix, aucun homme ne devant être ainsi désigné comme une référence sur un sujet aussi complexe que l'économie, et Gunnar Myrdal, son co-lauréat, qui déclara de son côté, que le prix devrait être aboli pour avoir été remis à un « réactionnaire » comme Hayek.
Des soupçons d'autant plus prononcés chez nous, que le Nobel n'a couronné pour l'heure, qu'un américain d'origine française avec Debreu, puis Maurice Allais, en 1988. Depuis, c'est un désert de 25 ans. Paradoxe, alors que l'économie française s'est remise dans le rang. Quelle produit nombre de travaux académiques conformes au main stream, du point de vue des méthodes, des thématiques des supports de publication. Alors même qu'elle épouse les critères d'évaluation et de notation des universités anglo-saxonnes : nombre de publication, de citations dans des revues plus ou moins étoilées
.
Alors pourquoi un tel désert ? La France ne manque pourtant pas de poids lourds dans cette discipline
pourquoi les Aghion, Blanchard, Guesnerie, Tirole, nos stars internationales passent-elles pour l'heure à côté de la récompense suprême ? Pour de mauvaises raisons peut-être.
Mais peut-être faut-il aussi s'interroger le positionnement hexagonal. Car au fond, on peut beaucoup critiquer le Nobel, il n'en reste pas moins que la principale clé d'explication des arbitrages obscures de l'Académie de Stockolm est le caractère radicalement innovant d'une pensée. Le point commun de nombre de Nobels en économie, qu'on les aime ou qu'on ne les aime pas, c'est le fait qu'ils amènent une innovation de rupture dans leur domaine, qu'ils ouvrent une voie nouvelle. Même si leur formalisation peut parfois toucher au délire, c'est le cas d'un Gary Becker lorsqu'il étend le calcul économique à la sphère privée, c'est le cas d'un Fama aujourd'hui, avec son hypothèse d'efficience
l'objet intellectuel qu'ils produisent est brillant et suffisamment important pour polariser le débat.
Serions-nous sur le plan intellectuel devenus des suiveurs, des imitateurs ? Brillants dans l'innovation incrémentale et moins puissants dans l'innovation radicale ? C'est la question que l'on peut se poser si l'on accorde un peu de crédit du moins au Nobel. Car c'est vrai qu'en gagnant en visibilité l'académisme français, a perdu ce qui faisait aussi sa grandeur. Sa créativité, son originalité. Une exception culturelle, teintée de structuralisme, qui avait produit l'économie critique de François Perroux, l'école du déséquilibre ou celle de la régulation. C'était le joli temps des génies incompris auxquels l'histoire donne parfois raison avec retard à défaut d'être reconnus par les jurys internationaux.
Olivier Passet, Voilà pourquoi la France est un désert à Nobels d'économie, une vidéo Xerfi Canal
Publié le lundi 21 octobre 2013 . 3 min. 55
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