Malheur ! Dans l’édition 2023 du rapport mondial de l’ONU sur le bonheur, la France est sortie du top 20 des pays les plus heureux –à la 21e place.
Ce constat n’aurait pas manqué d’interpeler le regretté Daniel Cohen. Dans son ultime livre, Une brève histoire de l’économie, il consacre un chapitre entier au bonheur.
Car, écrit-il: « Le monde moderne peut quasiment se définir par l’idée que le bonheur sur terre est le but de l’humanité. »
C’est le sujet de mon billet libéral.
Le constat de Daniel Cohen ouvre des questions abyssales. Comme celle-là: comment comprendre le paradoxe d’une société qui se donne un but, le bonheur, qu’elle manque toujours ?
Une autre manière de l’exposer : pourquoi le bonheur semble-t-il plus difficile à atteindre aujourd’hui qu’hier alors même que, en France notamment, la richesse matérielle est beaucoup plus élevée ?
La première réponse est bien connue des politiques : bouchée avalée n’a plus de goût. En d’autres termes, les humains sont malheureux parce qu’ils s’habituent à tout.
Daniel Cohen précise avec malice : « Ce n’est pas nécessairement décourageant, car ce trait est aussi celui qui permet à l’homme de garder intacte sa foi en un avenir meilleur… »
L’argent ne fait peut-être pas le bonheur, mais c’est bien la situation financière – suivie de la famille et de la santé – que les ménages mettent le plus souvent en avant.
Et pourtant, la situation financière ne saurait tout expliquer. Les Français sont beaucoup plus riches que depuis l’après-guerre, et cependant ils ne sont pas plus heureux…
Comment l’expliquer ?
Première réponse: le paradoxe d’Easterlin. Il s’énonce ainsi : au-delà d'un certain seuil, la poursuite de la hausse du revenu ne se traduit pas nécessairement par une hausse du bonheur individuel.
Pour l'école néoclassique, l'accroissement de la richesse permet d'augmenter le bien-être, c’est-à-dire l’utilité. Le paradoxe émerge lorsque l'on observe que, au-delà d'un certain niveau de revenu, l'accroissement marginal de l'utilité est de plus en plus faible, ou inexistante avec la hausse du revenu.
Seconde réponse: le syndrome du beau frère. Il s’énonce ainsi: une femme aura une plus grande probabilité de travailler si le mari de sa sœur gagne plus que son propre mari.
Vous l’avez compris : l’envie est un élément clé. On jouit de réussir mieux que les autres. Nombres d’études montrent que l’on est prêt à perdre une part de ses propres gains pour réduire celui des autres participants à un même jeu.
Quelle conclusion tirée ? Elle est simple et brutale, nous dit Daniel Cohen : « La croissance donne à chacun l’espoir, même éphémère, de sortir de sa condition, de rattraper les autres, de dépasser ses attentes. C’est l’amélioration de la situation qui rend une société heureuse. »
Et l’auteur ajoute: « Les sociétés modernes sont avides de croissance, davantage que de richesse. »
C’est une analyse lourde de conséquence alors que la transition écologique appelle la sobriété. Pire, pour certains, la décroissance…
Publié le mercredi 22 mai 2024 . 3 min. 31
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