Bonjour,
Mon point de vue libéral du jour porte sur le pass sanitaire, le plus grand nudge jamais mené en France.
Nudge? En anglais, le mot signifie « coup de pouce ». Et en économie comportementale, il désigne une incitation indirecte censée être plus efficace qu’une instruction, une interdiction ou une sanction.
Mi-juillet, Emmanuel Macron annonce une extension du pass sanitaire. Son objectif ? Pousser les Français à se faire vacciner sans imposer la vaccination obligatoire pour tous.
L’incitation ? Une vie normale ou presque pour les détenteurs du laisser-passer, seuls autorisés à accéder aux lieux de loisirs et de culture, aux cafés et restaurants…
Le résultat ? Douze millions de vaccinés supplémentaires depuis l’annonce présidentielle. Et les premiers anti-vax dans la rue.
Richard Thaler, professeur d’économie comportementale à Chicago, et Cass Sunstein, juriste à Harvard, sont les vrais inventeurs du nudge. Dès 2008, dans un article fameux intitulé Nudge, la méthode douce pour inspirer la bonne décision, ils décrivent comment modifier le comportement des gens d’une manière prévisible sans pour autant leur interdire aucune option.
En 2017, consécration, Thaler reçoit le prix Nobel d’économie.
Pour le meilleur ou pour le pire ? Dans Infantilisation, l’essayiste libéral Mathieu Laine attaque cette technique de manipulation psychologique, soupçonnée de brider le libre arbitre.
Je le cite: « Ils ont cru planter les derniers clous de deux cercueils : celui du dirigisme centralisateur soutenant la lutte socialiste des classes et celui des choix rationnels et de l’homo œconomicus néoclassique associé (à tort) au libéralisme. »
Cette combinaison des contraires, les deux Américains la baptise « paternalisme libertarien ».
Ce n’est pas un oxymoron, assurent-ils ! Car il faut repenser la vision classique du paternalisme. Elle repose sur une hypothèse fausse et sur une idée reçue.
L’hypothèse fausse : les individus font toujours des choix rationnels et optimaux. Or nous dit Richard Thaler, nous ne sommes pas des M. Spock, des hybrides froids, cohérents, patients et informés, mais plutôt des Homer Simpson, c’est-à-dire des êtres sensibles, faillibles, grégaires et paresseux.
L’idée reçue : le paternalisme implique toujours une coercition. Or, argumente Thaler, le paternalisme libertarien se donne comme finalité d’améliorer notre bien-être sans amoindrir les libertés individuelles. Il vise à limiter les imperfections de l’action tout en préservant la liberté de choix et la responsabilité individuelle.
La frontière est ténue. Le nudge pousse-t-il à prendre la bonne décision ou à prendre la décision que son concepteur – l’Etat, l’entreprise – juge la meilleure ?
Ce débat fait rage aujourd’hui en France. Les antivax parlent de société de contrôle, voire de dictature. Pour eux, le bien-être de tous ne saurait imposer une restriction de choix.
Les pro-pass évoquent l’intérêt général au service de la liberté : seule la vaccination libérera la société.
Au fond, le coup de pouce reste inoffensif tant que l'on peut choisir, «et, plus précisément, mal choisir », complète Mathieu Laine.
Mais même ce distingo rend difficile le compromis : le pouvoir actuel pourra-t-il encore longtemps accepter le mal choix d’un refus de vaccination ?
Publié le mardi 28 septembre 2021 . 4 min. 14
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