Une chose est sûre, nul n’est besoin d’être grand devin pour identifier le terme qui va désormais régenter la vie sociale. Depuis qu’un milliardaire a décidé de changer le nom de son entreprise pour des raisons qui sont tout sauf obscures, il est clair que nous allons vivre sous le régime du méta.
Pour ceux qui auraient oublié les quelques notions de philosophie égrenées en classe de terminale, je me permets de rappeler que « méta » est littéralement ce qui se situe « au-delà ». Au-delà de quoi ? De la physique. C’est pourquoi les écrits d’Aristote qui sont regroupés dans la célèbre Métaphysique concernent des écrits qui ne se rapportent pas à la physique. Est-ce à dire que nous entrons dans une ère métaphysique ? C’est peu probable et rien ne le laisse présager. Mais il me semble important de réfléchir à la signification d’un tel engouement pour un terme qui signifie une déconnexion par rapport au monde terrestre, physique et sensoriel, alors que tout le discours anthropocène nous enjoint justement de nous reconnecter au vivant. Le monde des metaverse est celui des avatars. Ce qui est proprement paradoxal, car nous vivons dans une société qui valorise non plus l’accumulation des possessions, mais l’expression des subjectivités. L’univers des réseaux sociaux qui se présentait il y a une décennie comme une nouvelle forme démocratique d’ouverture et d’équité a désormais pris les forme de l’atomisation, de la surveillance et de la radicalisation. Le métavers ne signifie pas uniquement une transition technologique des plateformes du web 2.0 vers les blockchains caractéristiques du web 3.0. Il s’agit d’une refondation des normes digitales qui induit l’émergence de nouvelles règles d’interaction et de nouvelles formes de construction des identités. L’élément saillant de cette nouvelle culture numérique est l’anonymisation de l’identité, celle-ci prenant très souvent la forme du pseudonyme. Cela signifie que les avatars risquent de devenir les nouveaux influenceurs. Mais cela signifie surtout une modification anthropologique majeure qui conjoint deux mécanismes. D’abord l’hypothèse postmoderne d’une disparition de la réalité au profit de la fiction permet la constitution d’un nouveau business model qui s’appuie sur la monétisation de ces mondes parallèles.
En effet, tout prédispose ces metavers à devenir de nouveaux univers commerciaux à part entière, comme le montre l’arrivée massive des marques de luxe dans ces univers fictionnels. Mais quel seront le moteur et la finalité de ces metavers ? C’est ici qu’intervient le second mécanisme. Il ne s’agit plus ici de reproduire le schéma traditionnel qui voit le client devenir acteur de son expérience de consommation par des actes de customisation. Il s’agit également de guider des transformations via des avatars qui vont permettre le jeu des identités multiples, via le travestissement, l’inversion, l’intensification du soi. A cette différence près que l’économie des metavers propose le stade ultime sur lequel bute inexorablement le capitalisme Elle peut vendre des éternités, que ce soit celle des images, des objets, des lieux ou de projections virtuelles de nous-mêmes dont l’immortalité est monétisable.
La grande force des métavers est donc de nous permettre d’échapper à une réalité trop contraignante en articulant la virtualité de la fiction digitale, la customisation propre à l’économie de l’expérience, et la possibilité de se transformer et de se transporter dans un monde virtuel qui nous offre la vie éternelle ? Qui a osé dire que Dieu était mort ?
Publié le jeudi 7 avril 2022 . 4 min. 10
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