De la dictature à la tolérance digitale

« Je surfe donc je suis » pourrait dire Descartes aujourd’hui tant notre identité est de plus en définie par notre activité digitale.

Vous vous connaissez bien, en tous cas je vous le souhaite, mais savez-vous vraiment tout de vous ?

Par exemple, où étiez-vous l’an passé aujourd’hui à cette heure-ci ? Vous ne le savez plus ? Pas de problème, Google et Google Maps peuvent le retrouver. Vous ne vous souvenez pas d’avoir échangé des mails avec une certaine personne ? Pas grave, c’est dans vos archives numériques.

Comme dans Le Double de Dostoïevski c’est une situation inconfortable et chacun de nous se sent un peu gêné aux entournures de savoir qu’il y a quelque part dans le nuage un meilleur jumeau de nous-mêmes.

Mais en réalité cela va plus loin. Le digital n’est au fond qu’une mémoire de toutes les traces numériques que nous avons laissées. C’est tout.

Or, nous avons aussi un Triple. En effet, toutes ces données, utilisées, malaxées, comparées avec celles d’autres doubles numériques par des Intelligences Artificielles de plus en plus sophistiquées, sont en train de nous entrainer vers des prédictions sur ce que nous pourrions faire bientôt. C’était au cœur de plusieurs films et romans de science-fiction. C’est le principe des moteurs de recommandations comme ceux d’Amazon ou de Netflix et de tous les systèmes, publicitaires en particulier, qui traquent vos données.

Cela ira encore plus loin toutefois car toutes nos données n’ont pas encore été numérisées. D’autres données nous définissent et vont nous définir de plus en plus, notamment les données de nos sensibilités émotionnelles et celles de nos caractéristiques génétiques.

Les neurosciences font des progrès considérables et bientôt les moteurs de recommandations et de publicité sauront mieux utiliser vos données psychologiques cognitives et comportementales pour vous inciter vers telle ou telle action, à partir de l’analyse de votre Triple.

La génétique, tout aussi rapidement, est en train de vous décrire avec précision. Hier votre groupe sanguin, aujourd’hui les sensibilités pathologiques qu’indique votre génome, demain les traitements et précautions qu’il vous faudra prendre, voire les manipulations génétiques que l’on vous suggérera.

Quelles conclusions en tirer pour nous et l’entreprise ?

Cette transparence va avoir des conséquences importantes sur nous en tant que citoyens et sur nous en tant qu’employés ou employeurs.

Faut-il s’en désoler ? Peut-être mais cela ne servira à rien concrètement.

Faut-il être prudent quant à ces traces que l’on laisse ? Mais tant de sources que vous ne contrôlez pas laissent des traces sur vous sans votre consentement que des efforts de discrétion sont probablement vains.

Faut-il être meilleur dans le mensonge, ajouter des fausses traces pour troubler les moteurs d’analyses, surtout si l’on a affaire à un recrutement ou une enquête sur ce qu‘on a pu faire ou dire ? Peut-être, mais c’est illusoire et chacun sait que le mensonge est une construction d’une incroyable complexité.

Faut-il devenir exemplaire voire parfait et qu’aucune trace ne puisse donc nous trahir ? C’est mettre la barre très haut.

Faut-il au fond accepter ce qui est en train de se passer, se dire que nous sommes tous dans la même situation, que nous sommes tous des êtres humains imparfaits et nous préparer plutôt à expliquer qu’à défendre. Finalement, notre humanité est aussi dans nos différences, nos défauts.

Cependant, soyons clairs, s’il faut accepter mieux qui nous sommes et demander aux autres de nous mieux accepter, il nous faut aussi accepter ce que sont les autres… c’est peut-être là qu’est le plus difficile, non ? Et là se trouve un problème central de management et notamment de recrutement : comment allons-nous mieux gérer demain l’imperfection des candidats et des collaborateurs ? Saurons-nous accepter la nouvelle diversité et les nouvelles altérités qui vont apparaître avec tous ces triples, ou irons-nous vers la dictature de la recherche d’une perfection idéale et impossible.