Il est en général bon de dénoncer le bullshit, mais savons-nous pourquoi un si grand nombre de dirigeants en sont arrivés à cette forme de communication ? Et si le bullshit était souvent la seule solution qui reste à des dirigeants dans un univers où la parole est exigée, mais doit être politiquement correcte en permanence pour tous. Pour éviter des accusations tous azimuts, courir le risque de l’insipidité et du bullshit est finalement une solution de facilité.
L’entreprise n’est pas une entité fermée, elle interagit avec plusieurs univers qui coexistent, aussi bien en interne qu’en externe. Elle avait, avant, la possibilité de moduler plus ou moins les messages en fonction des différentes cibles. Cela est devenu impossible, car, d’une part, les cibles sont moins distinctes, se recoupent et, surtout, d’autre part, les messages ne sont plus invisibles d’une cible à l’autre. Tous les murs ont désormais des oreilles. La cohérence est exigée entre ce qui est dit aux actionnaires, aux parties prenantes, aux employés, aux clients. Mais les exigences à l’œuvre, souvent contradictoires, rendent une communication politiquement correcte pour tous quasiment impossible.
Dans ce monde d’insatisfactions archipellisées, la conclusion est simple : à tous les coups on perd.
L’insipide ou la langue de bois, sorte de plus petit dénominateur commun de la communication, s’impose.
Si Hollande, Sarkozy ou Macron sont tous autant critiqués, et de façons si similaires, pendant leurs présidences, alors qu’ils sont des personnages très différents, c’est que la Présidence incarne à chaque fois la frustration face à la fonction présidentielle. Elle ne peut pas faire tout ce qu’on attend d’elle. Elle peut plus facilement « annoncer » que « faire ». Beaucoup de dirigeants et même de simples managers sont dans la même situation. On attend aujourd’hui tout et son contraire des autorités, quelles qu’elles soient. À tous les coups on perd.
« La critique est aisée, mais l’art est difficile », disait déjà Destouches en 1732. Il y a loin du discours aux actes, même si on veut sincèrement y parvenir : on fera ici, naïvement, mais volontairement, l’hypothèse de la sincérité des dirigeants…. Agir pour le climat, verdir son entreprise sans faire ce qui sera dénoncé comme du greenwashing ; mettre en œuvre une vraie politique RSE sans que soit dénoncé du social washing ; voilà de bons enjeux d’actions et de communications où le bullshit sera souvent la solution la plus facile bien qu’elle soit décriée.
En stratégie des organisations, cela impliquera désormais une très grande prudence en communication, qui devient une action stratégique majeure, qui d’ailleurs sera de plus en plus scrutée par les conseils d’administration, les actionnaires et toutes les parties prenantes externes. Il y aura encore beaucoup de bullshit, mais, heureusement, aussi, de vraies interrogations sur les actions concrètes à mener, sur la façon de les concevoir, de les communiquer. Enfin on verra aussi apparaître de véritables savoir-faire pour exprimer avec clarté ce que l’on fait et pour assumer avec courage que, quoi que l’on fasse, toute mesure rencontrera des oppositions. Ce courage devra être accompagné d’une hygiène de la décision, opposable à tous, car expliquant le rationnel d’une décision et du processus qui y a mené. Certes les oppositions et contestations seront presque toujours plus vocales que les approbations et il y aura toujours un tribunal populaire pour juger des mesures inacceptables, mais les dirigeants courageux devraient être capables de mieux justifier et défendre leurs positions.
La communication devient stratégique. Il faut donc pour communiquer aujourd’hui avoir de vrais projets, donc du fond, de vraies justifications aux décisions, mais, aussi, les reins solides la peau épaisse et une éthique affirmée.
Publié le mercredi 14 février 2024 . 4 min. 04
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