Les valeurs d’une entreprise, sa mission, sa raison d’être, font partie de son identité, donc aussi de celle de ses collaborateurs. Mais ne peuvent-elles pas devenir un piège en stratégie du capital humain ?
Pour rappel, une chambre d’écho est un lieu de discussion dans lequel chacun est quasiment limité dans les opinions qu’il voit à un seul type d’opinion, lui laissant ainsi croire que « tout le monde pense comme ça ». Ce phénomène, bien connu des chercheurs en réseaux sociaux et en théories du complot, provient techniquement de filtres qui limitent les flux d’informations.
Ce phénomène peut s’appliquer à l’entreprise ! En effet, les discours internes sont souvent axés autour de valeurs peu discutables, parfois assénées comme des crédos. Leur communication est filtrée par tous les documents de communication où les mots-valises et les mots-jargon tournent autant en boucle que les arguments dans les discussions de théories du complot.
Parfois même, les individus sont évalués sur leur respect. La contestation leur est interdite, comme aux ministres de douter publiquement des orientations de leurs collègues. Les individus finissent souvent convaincus d’assertions et de valeurs apparemment largement partagées. On peut être licencié pour des différences de valeurs, leur pouvoir est donc considérable et l’individu est plus qu’invité à ne pas les contester.
Les valeurs sont souvent creuses ou d’une affligeante banalité
Dire que « l’homme est au centre », ou « l’innovation est notre moteur » ou « le client est roi » et autres fadaises, fadaises car le contraire n’aurait aucun sens, veut surtout dire que les valeurs ne sont pas différentiantes par rapport aux concurrents.
Alors, les mots creux et les slogans creux peuvent-ils avoir un sens ?
En fait oui.
Car ce qui compte n’est pas leur formulation première mais l’interprétation qui en est donnée à un moment donné par les dirigeants. Ainsi, la République française est symbolisée par trois mots : liberté, égalité, fraternité qui peuvent apparaitre creux et trop génériques : leur contraire est difficilement défendable. Mais ils sont utilisés de l’extrême droite à l’extrême gauche, chacun à sa façon et avec son interprétation, avec des sens et des messages qui se veulent pour chacun positifs d’espoir de changement. L’interprétation détermine la valeur du mot.
Des valeurs génériques peuvent donc être aussi bien des valeurs-prisons que des valeurs-fenêtres selon la façon dont on les habille. La question est donc plutôt : comment les utiliser au mieux et comment éviter la manipulation grossière qu’elles pourraient occasionner ? L’important est dans le sens opérationnel, dans la vie, que l’on donne aux valeurs, à leur traduction dans le réel et, bien sûr, dans leur évolution et dans l’acceptation de leur contestabilité.
Est-ce grave docteur ? Peut-on faire de l’évolution des valeurs un avantage compétitif ?
Oui, c’est grave si la façon dont les valeurs sont émises et diffusées met en danger l’attractivité d’une entreprise, sa crédibilité ou sa pérennité. Si elles sonnent trop creux et trop bullshit aux oreilles des candidats et si la rigidité de leur interprétation interdit de proposer de déboulonner la statue du commandeur.
Non, si les fenêtres sont ouvertes. Les valeurs sont aussi faites pour évoluer. Une valeur sociale avance par les marges de la société. C’est la même chose dans l’entreprise. Ne pas laisser sa place à la contestation est mettre en danger l’avenir.
La philosophie de Karl Popper peut s’appliquer par analogie avec les valeurs : une valeur d’entreprise ne serait valable que si l’on peut démontrer, un jour, qu’elle est insuffisante, susceptible d’une autre interprétation, voire devenue fausse.
Pour cela il faut probablement laisser portes et fenêtres ouvertes à toutes les diversités, d’opinions, d’origine, d’approches cognitives, etc. dans une « confrontation » constructive, comme le prônait François Dalle, ancien PDG de L’Oréal. Ce faisant, des valeurs, même d’apparence creuse, peuvent, c’est surprenant mais réel, devenir un avantage compétitif si elles soulignent une vraie différence.
Publié le mercredi 11 janvier 2023 . 4 min. 34
Les dernières vidéos
Management et RH
Les dernières vidéos
de Dominique Turcq
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES