Est-il imaginable de récompenser ceux qui ont échoué ? Que penser d’un prix décerné au meilleur projet d’innovation parmi ceux qui ont été arrêtés sur un constat d’échec ?!
C’est pourtant ce que le groupe Engie a choisi de faire en créant un prix pour la « Best failed Innovation ». C’est Vesselina Tossan, maître de conférences au Cnam, qui avait repéré et décrit ce qui pourrait apparaître, en première lecture, comme une bizarrerie.
Comme d’autres grands Groupes, Engie octroie depuis plusieurs années ses trophées de l’innovation aux porteurs de projets les plus réussis. Ce type de dispositif, on le sait, vise à récompenser les prises d’initiative, à montrer qu’il est possible et même attendu, non seulement d’innover pour aider le Groupe à améliorer ses offres et ses processus internes, mais aussi de se comporter en intrapreneur, en entrepreneur interne, de prendre des risques pour aider le Groupe à régénérer ses activités de l’intérieur. En outre, un dispositif de prix de l’innovation donne à voir des cas concrets et séduisants d’idées nouvelles, développées et mises en œuvre. De quoi donner des idées à d’autres de faire de même et, plus prosaïquement encore, donner envie à d’autres unités de l’organisation de reprendre à leur compte une bonne idée qui pourrait s’appliquer dans leur propre périmètre. C’est particulièrement pertinent pour les innovations incrémentales, qui participent de la résolution de problèmes de terrain et qui sont le plus souvent largement réplicables. Les prix de l’innovation participent ainsi d’une forme de tam-tam de communication pour aider les idées réplicables à se diffuser en interne dans la grande organisation.
Mais un prix pour récompenser un échec ? C’est une autre histoire.
Nos cultures économiques concurrentielles valorisent en général le succès et n’aiment guère l’échec. Pourtant l’idée est intéressante et cela pour au moins quatre raisons :
1-Décerner un tel trophée, c’est reconnaître que l’échec fait partie du jeu de l’innovation. C’est dire haut et clair que n’est pas un drame d’échouer. La prise de risque suppose que l’échec peut être au bout du chemin. Un tel trophée vise à encourager les candidats intrapreneurs à dépasser la crainte du « Vae victis », le sort réservé à ceux qui échouent.
2-Un projet d’innovation peut avoir été arrêté en interne non pas parce que sa faisabilité technique, sa pertinence marketing ou sa solidité financière ne passaient pas, mais parce que le contenu du projet n’entrait pas dans les priorités stratégiques. Le projet peut alors avoir ses chances ailleurs, par exemple via un spin-off hors le groupe. Autant le faire savoir.
3-Une idée peut rebondir lorsqu’elle est présentée largement en interne. Ainsi, un projet qui satisfait tous les critères, sauf celui de l’adéquation à la stratégie de la business unit qui l’a vu naître, peut parfaitement intéresser une autre business unit qui en entend parler à l’occasion de la remise de ce prix atypique.
4-Il y a aussi la sérendipité qui va faire que de présenter une idée finalement abandonnée va déclencher un intérêt connexe qui débouchera ailleurs dans le groupe sur un projet plus fructueux. (Une idée d’éclairage pour personnes âgées, finalement abandonnée, aura ouvert les yeux sur l’enjeu de la silver economy).
Vesselina Tossan et ses co-auteurs parlent de « nearling », au sens de « presque aboutis », pour décrire ces projets qui ne sont pas allés tout à fait au bout, mais qui valent la peine qu’on en parle, ce que, précisément, permet un dispositif de trophées de l’innovation.
Publié le jeudi 04 février 2021 . 3 min. 54
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