La crainte historique du socialisme dans les entreprises et l’éclosion de l’industrie du bien-être au travail dans les sociétés occidentales donnent au paternalisme une nouvelle jeunesse.
Le paternalisme, est cette conception patriarcale du rôle de dirigeant qui prend sa source dans la France industrielle du XIXe siècle lorsque les patrons réalisent la misère dans laquelle vivent leurs ouvriers. Craignant de possibles révoltes et la montée des idées socialistes, ils décident d’améliorer le quotidien de cette main d’œuvre bon marché en commençant par leur construire des logements décents. Dans la foulée, ces « généreux » patrons espèrent également asseoir leur autorité en obtenant davantage de respect et d’obéissance.
Un siècle plus tard, dans les années 50, le mouvement dit des « relations humaines » prend son essor aux Etats-Unis avec les travaux du psychosociologue Elton Mayo qui démonte l’existence d’un lien de causalité manifeste entre la productivité et la considération donnée à la personne humaine et à ses conditions de travail. En convaincant les ouvriers que leurs intérêts et ceux de l’entreprise sont fondamentalement convergents, Elton Mayo espère aussi écarter le spectre du socialisme.
Depuis le début des années 2000, on assiste à l’avènement de ce que le sociologue Frank Furedi appelle la « culture thérapeutique »,une culture qui se manifeste par l’importance grandissante donnée aux émotions et au bonheur individuel. Source de performance et d’engagement, le bien-être de chaque travailleur ne doit plus simplement être professionnel mais également émotionnel.
Avec le concours des pouvoirs publics, de la médecine et des consultants spécialisés, les équipes dirigeantes sont donc invitées à prendre très au sérieux le bien-être émotionnel pour ne pas dire le bonheur de leurs salariés.
Faut-il se réjouir ou s’inquiéter de cette alliance protéiforme et du niveau de bienveillance et d’ingérence qu’elle introduit dans les sphères organisationnelles ? D’un point de vue éthique, peut-on ainsi pénétrer librement dans l’univers intime de ses collaborateurs ? Et en objectivant leurs émotions, c’est-à-dire leurs réactions affectives transitoires, n’y a-t-il pas un risque de favoriser l’instauration d’un certain conformisme psychique ?
Mais au fait, comment appelle-t-on une organisation où tous les membres d’un collectif sont intensément et durablement épanouis émotionnellement ? On dirait bien que ça ressemble à une secte ? L’optimisation de la performance collective est-elle à ce prix ?
Si l’on admet l’idée selon laquelle embaucher ce n’est pas adopter, ne faut-il pas se méfier de cette pensée néo-paternaliste qui irrigue actuellement la pensée managériale ? Sans remettre en cause le bien-fondé de ses intentions, le management des émotions ne porte-t-il pas en lui le germe d’une pensée dogmatique et manipulatoire ?
Maintenant, si autant d’équipes dirigeantes s’accommodent de la culture thérapeutique, serait-ce parce qu’elles espèrent que le socialisme soit finalement soluble dans l’entreprise providentielle ?
Publié le mercredi 20 janvier 2021 . 3 min. 39
Les dernières vidéos
Management et RH
Les dernières vidéos
d'Eric-Jean Garcia
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES