L’art de la décision c'est trancher dans le vif au fil des circonstances

En pratique, le temps de la décision et celui de l’instruction ne s’inscrivent pas dans les mêmes registres. En décidant on tranche, en instruisant on explore et on expérimente.

L’instruction est donc ce temps de travail qui précède la décision et qui a pour but d’éclairer celle-ci à partir d’une connaissance fine du problème auquel on est confronté. Faut-il rappeler qu’une telle connaissance n’a pas grand-chose à voir avec la quantité d’informations récoltées où le prestige des sources invoquées ? En revanche, elle est nécessairement le fruit d’un raisonnement exigeant, sélectif et courageux.

Exigeant au sens du plein usage de la raison à travers notamment la pertinence des faits identifiés, la rigueur des sources sélectionnées, la justesse de l’analyse et la cohérence des arguments proposés.

Sélectif car l’exhaustivité est généralement une vaine entreprise, typiquement chronophage et susceptible d’encourager la procrastination et même l’inaction.

Mais l’exigence et la sélectivité seules sont insuffisantes. Encore faut-il faire preuve d’un certain courage notamment pour douter des apparences, se méfier de ce que l’on appelle communément « le bon sens » ou plus fatalement « le sens de l’histoire ».

Dans les faits, un raisonnement courageux explore à charge et à décharge dans le but de révéler non pas la vérité absolue qui doit s’imposer à tous, mais les différentes vérités existantes, y compris celles qui dérangent et qui se font concurrence autour des enjeux en présence.

Voilà pourquoi un raisonnement courageux est enclin à faire un usage approprié du fameux « en même temps ». Un « en même temps » qui n’a rien à voir avec la lâcheté, l’hésitation chronique ou la recherche pathologique d’une solution médiane à l’origine de tant de décisions indécises.

Le « en même temps » dont il est question ici est celui qui permet d’avancer la réflexion en tenant à bout de bras des forces contraires, en acceptant les ambiguïtés manifestes de la vie sociale afin de rendre justice à la complexité des questions auxquelles sont nécessairement confrontés les décideurs.

La qualité de l’instruction dépend donc essentiellement de la nature exigeante, sélective et courageuse du raisonnement à l’œuvre. Mais les hommes et les femmes de pouvoir ne sauraient se contenter de ce temps dédié à l’instruction. Le moment venu, le courage de la nuance doit laisser la place à la vaillance de la décision.

L’art de décider ce n’est pas l’art d’avoir toujours raison au nom d’une vérité révélée ni l’art de prendre des risques pour satisfaire son amour du risque, mais l’art d’instruire dans la nuance afin de trancher le plus finement possible dans le vif des circonstances.