Le besoin d'objectiver et de rationaliser les facteurs responsables de la performance dans les organisations a favorisé le développement d’approches dites « scientifiques » de la gestion et du management au détriment d’approches davantage esthétiques, sensibles au beau, à l'harmonie et au sublime.
D’ailleurs, on ose à peine affirmer que l’entreprise pourrait être conçue comme un projet artistique puisqu’elle est la cible presque rêvée des architectes de l’ingénierie humaine et sociale dont les ambitions semblent sans limite depuis l’avènement de l’intelligence artificielle et des neurosciences sociales.
Pour appréhender la dimension artistique d’une entreprise, il faut d’abord admettre que le beau est un sentiment relatif, socialement et professionnellement construit. Il n’existe pas de norme esthétique absolue et le jugement qui en découle n’est jamais totalement déterminé, ni totalement libre.
En revanche, on peut s’appuyer sur quelques réflexions philosophiques. Par exemple, ce qui nous est agréable stimule nos sens mais c’est un sentiment très personnel et souvent de courte durée. En revanche, ce qui est beau sollicite notre sensibilité, notre intelligence et notre aptitude à faire durablement le bien. Le beau peu même être dépassé et nous entrons alors dans ce que Kant appelle le sublime, véritable aiguillon de notre imagination créative.
Dans les entreprises, le champ esthétique du beau s’exprime d’abord au niveau des produits commercialisés à l’image des produits Apple en gardant à l’esprit que le design ce n’est pas simplement le look, c’est également la qualité et la façon dont ça marche.
Ensuite, on trouve l’agencement et l’organisation du lieu de travail, l’ambiance et la recherche d’une cohérence entre les règles, les tâches à accomplir et la sociologie des acteurs concernés. Les entreprises sont toujours inspirées lorsqu’elles s’efforcent de développer leur propre style plutôt que de céder, avec un certain enthousiasme, aux charmes du prêt-à-porter offert par la dernière solution organisationnelle en vogue.
Mais les produits et les aspects organisationnels n’épuisent pas le champ esthétique du beau dans les entreprises. La stratégie peut également être porteuse d’une intention esthétique qui transcende les logiques d’optimisation comptables et la recherche de position dominante sur son marché. Les entreprises labelisées BCorp pourraient s’inscrire dans cette logique, car, ce qui motive et sublime, ce n’est pas simplement de "comprendre" la stratégie mais aussi de "ressentir" une finalité porteuse d'un idéal de vérité.
Le leadership aussi est concerné car les dirigeants à fort impact ont généralement une approche intuitive de leur organisation, une intention « esthétique » finalement beaucoup plus artistique que scientifique. Gérard Blitz, le fondateur du Club Méditerranée et son associé de l’époque Gilbert Trigano illustrent certainement cette forme esthétique de leadership.
Mais tant que les experts et les autoproclamés savants de la chose sociale organisée continueront de voir l’entreprise comme un mécano newtonien modifiable à l’envie, ils auront beaucoup à apprendre des artistes qui nous donnent la vie dans leurs œuvres.
Publié le mercredi 24 juin 2020 . 3 min. 26
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