C’est un fait établi, on n’a jamais autant parlé de leadership dans les entreprises, dans les médias et surtout dans les formations destinées aux cadres dirigeants et managers. Ceux qui ont en charge tout ou partie d’un corps social organisé doivent désormais faire preuve de leadership.
Mais difficile de dire précisément ce que revêt cette notion fourre-tout par excellence. Elle semble désigner une façon non coercitive d’exercer des prérogatives managériales et certaines caractéristiques sont à l’honneur comme la vision, le charisme, l’exemplarité, l’intelligence émotionnelle, la prise de risques et le sens des responsabilités.
Ces caractéristiques ont en commun de désigner des qualités personnelles, souvent idéalisées et sujettes à une grande variété d’interprétations selon les contextes, les personnes concernées, leur parcours, leur culture, leur âge etc. Leur principal défaut est de focaliser la question du leadership sur les qualités d’une seule personne alors qu’il s’agit avant tout d’un phénomène relationnel d’influences réciproques dans lequel la culture, les règles internes et les profils socio-professionnels des acteurs ne peuvent être marginalisés ou génériqués.
Pourtant, cadres dirigeants et managers sont souvent confrontés à des dispositifs d’accompagnement présentant le leadership comme une compétence, c’est-à-dire un savoir-faire opérationnel formel, reproductible et transférable pouvant même être codifiée, mesurée et déployée à volonté.
L’intérêt des dirigeants pour ces approches tient notamment au fait que ces derniers sont souvent sensibles à l’idée de pouvoir anticiper, prédire et mesurer les comportements de leurs collaborateurs. D’ailleurs, cet intérêt est en passe d’être exacerbé avec l’avènement du numérique et des possibilités offertes aux sciences comportementales comme les neurosciences, la psychologie sociale et les sciences cognitives.
En cherchant à modéliser les contextes professionnels favorables à l’expression d’un leadership exemplaire, n’y a-t-il pas un risque sérieux de dévitaliser le leadership de sa substance intrinsèquement rebelle, innovante et in fine disruptive ? En tout cas, on comprend peut-être mieux pourquoi certains observateurs avisés voient dans ce regain d’intérêt pour la catégorisation et la mesure des comportements au travail un retour possible du Taylorisme.
En traitant le leadership comme une compétence formelle on prête le flanc à toutes sortes de dérives plus ou moins pernicieuses. Il est donc beaucoup plus judicieux de s’affranchir du concept normatif de « compétence » pour investir dans une connaissance fine et élaborée des dynamiques comportementales, des jeux d’acteurs, des relations de pouvoir et de leurs influences sur les transformations sociales.
Avec cette approche, on peut raisonnablement envisager de faire justice à la nature éminemment politique du leadership c’est-à-dire socialement construite, contextuellement dépendante et toujours perméable aux idéologies et à la morale.
Publié le mardi 21 mai 2019 . 3 min. 05
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