L’utilisation effrénée des termes « leadership » et « management » dans la vie organisationnelle mérite bien que l’on prenne le temps de les distinguer en commençant par dénoncer quelques-uns des nombreux clichés utilisés ayant en commun de caricaturer le réel.
Tout d’abord, il y a cette idée de hiérarchisation de l’un par rapport à l’autre : le management c’est bien mais le leadership c’est beaucoup mieux. C’est ce qu’insinue Peter Drucker pour qui le management c’est faire ce que l’on sait faire alors que le leadership c’est faire ce qu’il faut faire. La punch line est séduisante mais depuis quand le leadership fait l’économie de ce que l’on sait faire ?
Dans la même veine, le management est présenté comme une fonction support du leadership. C’est ce que suggère Stephen Covey pour qui le management désigne l’efficacité avec laquelle on gravit l’échelle du succès alors que le leadership détermine si l’échelle est posée sur le bon mur. Le leadership aurait-il un complexe de supériorité par rapport au management ?
Toujours pour distinguer « leadership » et « management » on a convoqué l’inné et l’acquis. Certains défendent l’idée selon laquelle le leadership est à l’inné ce que le management est à l’acquis alors que d’autres, majoritaires chez les formateurs, les consultants et les coaches, sont persuadés que le leadership, c’est comme tout, ça s’apprend !
De là à trier les individus selon ces deux termes il n’y a qu’un pas, franchi allègrement par certains tests de personnalités rebaptisés pudiquement indicateurs de préférences. Parés de leurs questionnaires fleuves, ces indicateurs peuvent identifier vos prédispositions au management ou au leadership. Ils savent faire la différence entre les acteurs et les auteurs du développement. Heureusement que la pratique démontre à quel point un contexte favorable ou défavorable peut à lui-seul modifier l’attitude et le degré d’influence d’un individu sur un collectif.
Une autre approche popularisée par Henry Mintzberg est de fusionner « management » et « leadership » en soulignant que le management sans leadership est stérile et que le leadership sans management est déconnecté de la réalité et encourage l’orgueil. Ce cocktail conceptuel est intéressant mais contourne la difficulté sans proposer un véritable changement de paradigme.
Enfin, pour Abraham Zaleznik le management se concentre sur le contrôle, la logique et la stabilité des procédures avec le soucis de trouver rapidement des solutions alors que le leadership est fondamentalement compatible avec le chaos et un minimum de structure, à condition bien sûr d’être en capacité de comprendre la situation dans son ensemble. Cette approche, très populaire chez les partisans de la « destruction créatrice » Schumpetérienne à le défaut de réduire le leadership aux caractéristiques personnelles du leader.
Pour échapper aux limitations pernicieuses de ces clichés sans pour autant prétendre solder les tensions inhérentes entre ces deux termes, je suggère de s’inspirer de la distinction proposée par Ron Barnett qui voit dans le management l’art du possible, c’est-à-dire tout ce qui est raisonnable d’entreprendre et d’orchestrer face à des situations complexes afin notamment d’augmenter la visibilité et de limiter les interférences au service de la stratégie et de la performance.
Le leadership devient alors l’art de l’impossible, c’est à dire une capacité individuelle à penser l’avenir avant de le calculer, à véritablement responsabiliser le collectif en faisant le pari de l’intelligence des acteurs et agir avec discernement malgré les tensions, les contradictions et les injonctions.
Publié le mercredi 19 avril 2023 . 4 min. 07
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