Le marginal-sécant n’est pas un marginal ordinaire. C’est un personnage qui a la capacité d’agir de façon impertinente et constructive à la jonction de différents systèmes d’actions au sein d’une même organisation.
En dehors de toute hiérarchie ou groupe projet, le marginal-sécant est doué pour créer et entretenir une multitude de liens plus ou moins faibles avec des personnes issues de catégories socioprofessionnelles très différentes comme celles que l’on trouve en comptabilité, à la production, au commercial et aux ressources humaines. Cette aisance relationnelle lui permet de tisser et d’alimenter un réseau aussi pluriel que substantiel.
C’est ainsi que le marginal-sécant peut très vite apparaitre comme un papillon capable de musarder aux interstices de l’organisation, de s’attarder dans les espaces informels et partout où prospèrent des zones d’incertitudes. Cette facilité à s’affranchir de certaines règles et usages pour mieux enjamber les lignes de démarcation confère à notre lépidoptère une autorité et même un certain leadership.
Mais à la différence du papillon, le marginal-sécant est toujours le produit d’un contexte et non une espèce d’individus à part entière. Autrement dit, le marginal-sécant se découvre dans l’action et difficilement au moment de la sélection. Pour qu’il se révèle, il lui faut un environnement organisationnel et social propice au déploiement de son réseautage informel.
Les structures essentiellement verticales, les bureaucraties, les technocraties et les systèmes dysfonctionnels favorisent son émergence. Il est donc assez fréquent de rencontrer des marginaux-sécants dans le monde professionnel même si leur nombre demeure limité.
Leur présence a fini par attirer l’attention de plusieurs sociologues dont Lucien Karpik, Michel Crozier et Erhard Friedberg. Ce qui intéresse tout particulièrement ces éminents chercheurs, c’est le pouvoir informel dont dispose le marginal-sécant. Un pouvoir de nature à parasiter voire à déstabiliser un service et même toute une organisation.
En mobilisant son tissu relationnel, le marginal-sécant peut apparaitre comme un catalyseur de revendications susceptibles de défier le pouvoir managérial et la gouvernance en place. Ce n’est donc pas un hasard si on retrouve de nombreux marginaux-sécants dans le syndicalisme. Face à cette menace, la hiérarchie est souvent tentée de porter atteinte à leur autonomie en limitant leur mobilité et en renforçant le cadre strict de leurs activités.
Une telle défiance à leur endroit pousse alors les marginaux-sécants à entrer en résistance en mobilisant autant que possible leur réseau dans le but de recouvrer des marges de liberté. Poussés à leurs extrêmes, ces jeux d’acteurs finissent par polariser les positions et ainsi perturber très sérieusement l’activité et de fait l’ambiance générale.
Mais ce scénario n’est pas le seul possible en présence de marginaux-sécants. Car, à l’inverse, ces papillons épris de liberté peuvent tout à fait servir l’intérêt général. En louvoyant opportunément dans les commissures informelles de l’organisation, ils peuvent devenir des passeurs, des traducteurs, des fédérateurs et même des médiateurs au service d’une stratégie et d’une raison-d’être.
Pour cela, la hiérarchie doit admettre qu’elle ne peut tout contrôler et que l’organisation parfaite est un leurre. Les jeux de pouvoir des acteurs font la richesse et la complexité de toute organisation et c’est dans ce contexte que le marginal-sécant à toute sa place.
Comme les marges d’un cahier permettent de relier les pages entre-elles, pour le meilleur ou pour le pire, le marginal-sécant créé et entretien des ponts entre les groupes d’individus qui forment un corps social.
Publié le jeudi 7 avril 2022 . 4 min. 20
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