Comment l’éthique peut-elle dévorer la morale de nos jours ? Pour répondre à cette question dont le caractère provoquant est assumé, il est nécessaire de préciser le sens de ces deux termes « éthique » et « morale », un détour définitionnel d’autant plus nécessaire que le consensus à ce niveau n’est pas de mise.
Si « éthique » et « morale » sont sémantiquement relativement proches et employés souvent de façon interchangeable, ils sont aussi concurrents l’un de l’autre. Cela tient notamment à leur étymologie respective et au nombre de philosophes et écrivains qui se sont employés à les redéfinir.
Considérons ici que l’éthique est ce que l’on fait par devoir et la morale, ce que l’on fait par amour. Autrement dit, l’éthique désigne un ensemble de règles et de principes déontologiques précisant ce qui est acceptable ou non de dire et de faire pour un groupe de personnes données. Le serment d’Hippocrate en est un bon exemple. En prêtant ce serment, les médecins s’engagent à être les dignes représentants d’une pratique responsable de la médecine.
La morale relève d’un registre bien différent, celui des valeurs auxquelles on adhère de façon volontaire en dehors de toute prescription éthique. Ces valeurs morales se manifestent par des décisions vertueuses dont les conséquences sont éminemment louables à nos yeux. De nature spirituelle, philosophique ou culturelle, ces valeurs ont la force d’une croyance capable de nous faire agir indépendamment des règles et des principes applicables à notre style de vie ou à notre environnement professionnel.
Voyons maintenant comment ces deux termes se comportent dans nos sociétés contemporaines et comment l’éthique ingère progressivement la morale avec pour mot d’ordre l’intérêt général. Un phénomène de fusion-absorption qui a plusieurs causes à son actif.
Parmi elles, notons l’ampleur de la judiciarisation de la vie sociale et professionnelle soutenue par une production exponentielle de lois, directives, règlements et chartes d’origine locale, nationale mais aussi régionale et même internationale. Concrètement, on assiste à une explosion de solutions procédurales destinées à pallier cette crise de confiance qui prospère entre les citoyens et leurs institutions.
Une autre cause est la montée en puissance des mouvements activistes et la capacité de certains à obtenir des changements radicaux parmi les règles et les mœurs d’une société. Avec des méthodes plus ou moins douces, ces militants de causes jugées d’importance vitale sont fermement décidés à faire le bien du plus grand nombre malgré eux.
La défiance envers les institutions couplée aux intentions volontaristes des mouvements activistes contribuent à créer non plus les conditions mais aussi les contraintes d’une société qui se veut plus responsable.
Une telle détermination à régenter les valeurs morales d’une population pose la question du degré de liberté et donc de confiance octroyé à cette dernière. Autrement dit, que reste-t-il à la morale si la conformité s’impose à tous et pour tous au profit de normes éthiques devenues hégémoniques ?
Publié le mercredi 18 octobre 2023 . 3 min. 39
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