La stratégie d’entreprise emprunte une grande partie de son vocabulaire à la rhétorique guerrière. L’art du dirigeant d’entreprise est volontiers apparenté à l’art de la guerre, les préceptes des généraux Sun Tzu et Carl von Clausewitz sont enseignés dans les cours de stratégie des écoles de commerce, et les entrepreneurs sont souvent présentés comme des individus particulièrement déterminés, portés par la volonté de conquête et toujours prêts à en découdre.
Pourtant, ces références guerrières sont trompeuses. Elles font oublier un peu vite que l’essence de la stratégie d’entreprise, ce n’est pas d’affronter des ennemis afin de les soumettre, d’accaparer leurs richesses et de conquérir leur territoire, mais bien d’attirer des clients. Dans la plupart des industries, les concurrents ne sont d’ailleurs pas considérés comme des ennemis, mais plutôt comme des confrères, et la concurrence s’apparente bien plus à la compétition sportive qu’au combat guerrier. Après tout, vos concurrents sont souvent vos semblables : vous recrutez les mêmes diplômés dans les mêmes écoles, vos salariés les rejoignent parfois alors que certains de vos salariés ont débuté dans leurs rangs, vous maîtrisez les mêmes technologies qu’eux, acquises auprès des mêmes fournisseurs, vous êtes confrontés aux mêmes difficultés, vous êtes soumis aux mêmes réglementations, vous faites partie des mêmes associations professionnelles, vous fréquentez les mêmes salons, et vous vous adressez aux mêmes clients. En fait, vous avez toutes les raisons de vous comprendre plutôt que de vous combattre.
D’ailleurs, bien des entrepreneurs, s’ils sont effectivement des conquérants, le sont par la séduction plutôt que par la force. Ils sont capables de charmer les clients, d’attirer les talents et de séduire les investisseurs. Leur emprise ne repose pas sur la violence, mais sur le charme. À cet égard, il est instructif de rappeler que le mot « entreprise » à la même racine que le mot « emprise », comme le rappellent ses traductions en espagnol (« empresa ») ou en italien (« impresa »). Jusqu’au 16e siècle, et encore chez Corneille, « entreprendre » signifiait « tender de séduire », comme le montre ce vers de l’acte I de Nicomède, écrit en 1651 : « Attale à ce dessein entreprend sa maîtresse ». Le verbe « entreprendre » a d’ailleurs acquis en français plusieurs significations au cours du temps, qui vont de « séduire » à « attaquer », en passant par « mettre en œuvre » et « empiéter ». Il n’est donc pas surprenant que le mot « entreprise » souffre de quelques confusions.
Afin d’y voir plus clair, souvenez-vous de cette règle simple : les affaires, ce n’est pas la guerre. Celles et ceux qui se présentent comme les officiers de la guerre économique oublient un peu vite qu’il s’agit d’une guerre sans morts ni bombardements, dont l’objectif, bien pacifique, est uniquement de convaincre des clients d’acheter vos offres plutôt que celles de vos concurrents, et dont la conséquence est la prospérité bien plus que la destruction.
Publié le jeudi 8 février 2024 . 2 min. 50
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