La main visible des managers : c’est là le titre d’un texte important en sciences de gestion, traduit il y a bientôt trente ans et que tout bon étudiant en école de gestion a dû, à un moment ou à un autre, voir figurer dans une bonne bibliographie d’un cours consacré à la théorie des organisations. Ce livre se donnait pour objectif de retracer l’émergence du capitalisme managérial en prenant appui, comme le souligne Jean-Michel Saussois qui préface la version française, sur « la construction intentionnelle de vastes ensembles hiérarchisés qui visent à coordonner les flux de biens et de services, et cela à côté des règles du marché ». Au fond la main invisible telle qu’Adam Smith la présente aurait en quelque sorte perdue la main au profit de la main mise, cette fois bien visible, des salariés-dirigeants des entreprises de toute taille, sur le capitalisme mondialisé.
Cette image de la main du manager est assez fascinante si on veut un temps soit peu s’y arrêter. Car en effet, c’est bien de là que nous viennent les origines du mot management, du latin, manus, qui veut dire précisément : la main. Avec cette racine étymologique c’est toute la fonction managériale qui se trouve appréhendée en effet, car bien manager n’est-ce pas aussi, bien manœuvrer, bien conduire ? Bref, avoir une bonne main ? On retrouve ici l’image du manège, si souvent utilisée, du cavalier capable, par alternance, en retenant sa monture ou en la sollicitant plus énergiquement, d’en extraire tous les talents et toute la puissance productive. Manager serait d’abord une affaire de tact, d’habileté, peut-être même de délicatesse.
Du côté de la philosophie, il est intéressant de constater que pour Heidegger par exemple, penser n’est pas dissociable d’un travail de la main. Selon l’auteur d’Etre et temps, la main est ni plus ni moins que le privilège de l’homme. La main occasionne aussi ce retour à nous-mêmes dont nous avons précédemment parlé avec Socrate. La main est ce qui prend d’un côté et ce qui rend de l’autre, ainsi que fonctionnent finalement le mode transactionnel, elle est enfin ce qui permet l’engagement, en signant d’une poignée l’accord entre plusieurs personnes animées d’un désir collaboratif.
Attention tout de même à ne pas voir trop vite avec cette image une manière simpliste, et manipulable justement pour cette raison, de décoder le travail managérial. Car au fond qu’est-ce que ces mains du manager ont à nous dire? Et bien précisément de nous donner à voir, en sous-main, les deux orientations possibles de l’activité managériale. Car de la brutale mainmise à la juste manœuvre, du maniement des hommes, pour employer l’expression du livre récent de Thibault Le Texier, à la stratégie de la main tendue pour un management plus éclairé et plus humain, il y a bien plus que l’écart du pouce et de l’index.
Publié le mardi 1 mars 2016 . 3 min. 06
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