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Le management passe généralement pour un discours de la force. Il se présente alors comme comme un art des solutions, ou une façon de résoudre, avec enthousiasme le plus souvent, toutes les catégories de problèmes. Chez Fayol (1916), l’un des prétendus Pères de la discipline, le manager est celui ou celle qui possède d’éminentes qualités techniques et morales, il est celui qui fondamentalement contrôle ce qu’il fait. Le manager tel l’ingénieur est celui qui maîtrise, dans tous les sens du terme.

 

Sauf que, abonder en ce sens, revient finalement à omettre l’autre versant du fait de « manager ». Manager c’est se soucier de quelque chose, c’est se charger d’une responsabilité spécifique.  Il arrive parfois que les managers soient écrasés sous le poids du fardeau que cette responsabilité représente du fait de la complexité des enjeux, des injonctions paradoxales de leurs tâches, des effets de la bureaucratie ou de tant d’autres facteurs. Cette quasi non-puissance du management n’est généralement pas un thème favorisé dans les pages des livres qui lui sont consacrées, hélas : alors comment connaître cette tendance constitutive du management à être pris entre le marteau et l’enclume de la puissance et de la vulnérabilité, de la force et de la faiblesse ?

 

Pour tenter de répondre, tournons-nous vers la philosophie de Gianni Vattimo. Né en 1936, ce penseur italien a longtemps été Professeur d’herméneutique de l’Université de Turin. Il est celui à qui on attribue généralement la paternité de la « pensée faible », qui lui avait été d’abord conférée de manière ironique, et qu’il a su retourner en lui prodiguant une connotation positive. Par pensée faible, il faut entendre en philosophie la fin des discours de totalisation et la reconnaissance de notre finitude. D’une certaine manière la pensée faible se veut le contrepoint de la violence exercée par la pensée forte, celle qui s’imagine avoir un accès privilégié à l’Etre. Dans la pensée faible, le fondement est en quelque sorte remplacé par l’événement, par le discontinu, par ce qui ne répond jamais aux prévisions de la pensée forte. Notons d’ailleurs ici que Vattimo ne s’oppose pas, contrairement à la quasi-totalité des penseurs du XXème siècle, aux mass-médias ; il y voit au contraire une manière de s’ouvrir à la diversité des cultures et aux interprétations multiples des événements du monde.

 

Quelle leçon en tirer ? Comment réintroduire ces dimensions de doute, de multiplicité des interprétations, de reconnaissance d’une vulnérabilité propre à l’exercice même de l’action managériale ? Dans un livre intitulé Pour un management responsable publié il y a deux ans, Yves Michaux, non sans moquer la fiction du manager-héros incapable d’être autrement que performant, proposait un retour je cite « à une conception humaine de la maîtrise » c’est-à-dire faisant preuve de qualités aussi banales et peu courantes que l’attention à autrui, le jugement, et enfin, notait-il, la capacité à repérer les signaux faibles.

 

Ce dernier point nous ramène à notre interrogation de départ. Car qu’en serait-il d’un management subtil, attentif aux nuances et aux ambigüités, assumant sa part de fragilité, de négativité, de vulnérabilité ? Qui serait capable d’écoute ? Ne serait-ce pas lorsqu’il reconnaît sa finitude et son inaptitude à tout contrôler, que le management retrouverait, ironiquement, sa puissance propre ? Posons la question plus radicalement : ne seraient-ce pas au moment même où ils tiennent le discours de la force que les managers seraient, paradoxalement, en situation de faiblesse?


Publié le jeudi 21 avril 2016 . 3 min. 58

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