Prenons deux exemples tout simples : parmi les deux stagiaires occupant le même poste, aussi excellents l’un que l’autre, devrais-je choisir Marie ou Louise sachant que je n’ai qu’un contrat de travail à leur proposer ? Confirmerez-vous la rumeur de la disparition prochaine de leur usine, auprès de vos collègues concernés qui vous interrogent à ce sujet, sachant que vous avez été informé de cette fermeture moyennant le respect d’une clause de confidentialité ?
Sur un plan pratique, un dilemme se caractérise toujours par un conflit entre vos convictions personnelles, les intérêts particuliers des parties prenantes et les valeurs organisationnelles de l’entreprise pour laquelle vous exercez vos talents. Il prend la forme d’un conflit de valeurs ou de droits, d’un manque d’information sur un choix à faire alors même que la situation est ambiguë et complexe, parfois elle prend même la forme d’un choix tout bonnement impossible dans lequel les différentes options sont ou bien toutes bonnes, ou bien toutes mauvaises. Alors à chaque fois comment s’y prendre ? Comment considérer ces multiples zones d’indécidabilité si fréquentes dans les organisations ?
Deux manières sont généralement défendues. La première justifierait de faire un calcul d’utilité. Résultera-t-il de ma décision un surcroît de bien-être supérieur pour la communauté ? La seconde consisterait à reprendre le code de comportements de l’entreprise et à tenter de l’appliquer ; mais il est probable hélas que dans de nombreuses situations, le cas n’ait pas été prévu et sans doute ne s’est-il même, auparavant, jamais produit.
Face à un conflit de valeur, à des cas difficiles, où l’affaire est « délicate », bien sûr une négociation sociale et une délibération entre les membres de l’équipe est toujours conseillée ; cela étant il y a des situations particulièrement équivoques dans lesquelles c’est bien sur vous-même que vous devrez finalement compter. Dès lors tout est question de jugement en situation, de capacités à apprécier la teneur des problèmes, de faire preuve au fond de ce qu’Aristote appelait la phronésis et les auteurs latins la prudence, c’est-à-dire en fait de sagesse pratique.
Mais qu’entend-on par cette expression? Il s’agit d’une forme de vertu permettant de discerner la meilleure décision, alors même que ni l’intérêt bien compris, ni l’application plus ou moins brutale de la règle, ne suffisent. Le philosophe Paul Ricoeur est celui qui a défini cette notion en indiquant que « la sagesse pratique consistait à inventer les conduites qui satisferont le plus à l’exception que demande la sollicitude, en trahissant le moins possible la règle ». Avec le terme de sollicitude, il souligne notamment l’importance des jugements humains dans un monde qui a tendance à laisser la place à l’automatisation. Avec le terme de conduite, il insiste sur le fait que cette intelligence des situations, cette capacité à choisir le moment favorable aussi, le Kairos en grec, doit donc beaucoup à l’expérience, hélas souvent disqualifiée dans notre monde économique actuel. Elle émerge d’un effort continuel tendu vers une action juste, adaptée, proportionnée et appropriée. La sagesse pratique est ici au fond une faculté de discernement qui s’acquiert, par l’habitude, avec le souci de cultiver sans cesse des qualités qui sont dans l’ordre du vécu, de l’harmonie, du bon équilibre, du savoir-être avec soi-même et avec autrui.
En bref on ne naît pas en homme ou en femme avisé(e), mais grâce à un travail sur soi, et une grande patience, on peut le devenir. Il faut donc voir la gestion des dilemmes en entreprise comme l’occasion de cet apprentissage.
Publié le mardi 7 juin 2016 . 3 min. 46
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