Dans le monde des organisations, c’est généralement en terme de valeurs que s’exprime ce que les philosophes depuis toujours appellent le Bien, le Bien avec un grand B. Lorsque les décideurs doivent rendre compte de leurs actions par exemple, c’est en terme de valeurs qu’ils s’expriment, ces valeurs qui se réfèrent finalement à des dispositions qui sont prétendument désirables en elles-mêmes, qu’il faut protéger et qui, dans les organisations, sont sensées inspirer les décisions managériales, considérées comme « bonnes ».
Cette notion de valeur n’est toutefois pas sans poser de nombreuses difficultés. Un effort de définition et de clarification s’avère nécessaire ici : car valeur d’échange, valeur d’usage, valeur fiduciaire, valeur ajoutée, toutes ces valeurs peuvent renvoyer à des choses qui n’ont rien de moral. Pensez aux valeurs de la marque ENRON ou, plus généralement, à la valeur économique d’une société, qui n’implique en soi aucune référence au Bien en tant que tel.
La seconde difficulté est la suivante : comment prétendre que ces valeurs sont effectivement partagées par les membres de l’organisation ? Qu’elles correspondent à quelque dénominateur commun, à quelques convictions partagées ? Qu’en est-il en effet de ce discours managérial sur les valeurs, que signifie-t-il au juste? Est-il un instrument de pouvoir ou d’adhésion à l’ordre managérial ? Est-il au contraire un lieu de retrait de son propre pouvoir où se négocie le contrat moral de l’entreprise, entre les individus dont les valeurs forcément diffèrent ? Car pour faire sens en effet, les valeurs organisationnelles doivent être capables de privilégier les différents points de vue, personnels, institutionnels et sociétaux des acteurs en présence. Sans quoi elles sont, précisément, sans valeur.
Dit autrement: sans orientation pluraliste dans la définition de ses valeurs, prenant en compte un dialogue permettant d’établir cette définition de la base vers le sommet, se mettant en quête ce que le philosophe américain John Rawls nomme le point d’équilibre entre des points de vue discordants, il y a fort à parier que le discours sur les valeurs soient finalement dérisoire, et même, en un certain sens, contre-productif.
Or, la difficulté du monde des affaires aujourd’hui est que cette définition ne peut plus se limiter à un débat interne à l’entreprise. Ce sont tous les détenteurs d’enjeux, les stakeholders selon l’expression d’Edward Freeman, qui peuvent affecter, ou être affectés par la réalisation des objectifs d’une organisation, qui doivent donc être invités à la table des négociations et déterminer ce qu’il en est de leurs valeurs partagées.
Au fond, pour faire sens, la notion de valeurs en management ne peut être séparée d’une réorganisation du dialogue dans les organisations entre les parties prenantes. Plutôt qu’à être l’expression d’un repliement sur les seuls discours venus d’en haut. Avec une vision systémique et relationnelle, c’est-à-dire plurielle, les valeurs peuvent devenir alors un point d’appui central pour un management soucieux de considérations éthiques. Un management éthique qui se définirait alors comme un ensemble de pratiques déterminées par une idée du Bien, définie AVEC l’intervention des différentes parties prenantes de l’organisation, et non plus sans.
Publié le jeudi 10 mars 2016 . 3 min. 21
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