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Le mythe tenace du déclin moral : de la peur à la réalité

Publié le mardi 3 octobre 2023 . 5 min. 56

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« Ensauvagement », « décivilisation » … l’idée que le sens moral le plus élémentaire serait en chute libre est d’actualité. Justement, un article passionnant, fraîchement publié dans Nature, rappelle que cette idée est répandue, éternelle… et fausse.

Les auteurs, Adam Mastroianni et Daniel Gilbert, ont analysé 177 sondages différents réalisés aux Etats-Unis depuis 70 ans, dans lesquels on posait aux répondants des questions du genre : « avez-vous l’impression que de manière générale les gens sont de moins en moins honnêtes ? » En tout, 221.000 Américains avaient répondu à ces questions. Et à 84% de ces questions, leur réponse allait dans le sens du déclin moral.

Cette impression n’est pas spécifiquement américaine : en appliquant la même méthode dans 59 autres pays, les chercheurs ont trouvé 58 questions posées à 354.000 personnes. La conclusion est strictement la même : à 86% des questions, les personnes interrogées répondent que la moralité décline.

La perception de déclin moral est donc très nette. Correspond-elle à une réalité ? Rien ne permet de l’affirmer.

D’abord, quand on interroge les mêmes personnes sur des sujets précis, plutôt que sur la morale publique en général, leur sentiment peut être très différent. Quand on leur parle de la manière dont la société traite les Noirs, les gays, ou les personnes en situation de handicap, une majorité d’Américains estime ainsi que les choses vont plutôt dans le sens d’une amélioration.

Ensuite, d’autres études ont demandé régulièrement à des échantillons représentatifs d’évaluer la manière dont se comportent leurs contemporains, en posant des questions comme « pendant la journée d’hier, avez-vous été traité avec respect ? » A ce type de question, la réponse est stable. Un autre type d’étude place les personnes dans des situations hypothétiques comme le dilemme du prisonnier, et conclut généralement que les gens sont de plus en plus coopératifs, ce qui va à l’encontre de la perception de déclin moral.

Troisième observation : quand on interroge les gens sur le comportement des individus qu’ils connaissent personnellement, ils ne considèrent pas que la moralité soit en déclin. Au contraire, ils estiment que les habitants de leur monde personnel sont de plus en plus moraux – alors même que ceux du monde réel le sont de moins en moins.

Enfin et surtout, les indicateurs objectifs de comportements immoraux sont en régression. Les travaux de Steven Pinker, en particulier, ont montré que la violence sous toutes ses formes est bien moins fréquente (et moins extrême) aujourd’hui qu’elle n’était il y a 30, 100 ou 500 ans. Aussi surprenant que cela puisse paraître à la lecture du journal, nous vivons dans un monde plus paisible, moins violent, bref, plus moral qu’il ne l’a jamais été.

Nous sommes donc face à un paradoxe saisissant : presque tout le monde, partout, a le sentiment que tout fout le camp ; alors que rien de concret ne suggère que ce soit effectivement le cas.

Mastroianni et Gilbert ont deux explications à offrir à ce paradoxe. La première est bien connue : c’est la surexposition aux mauvaises nouvelles. Nous prêtons plus d’attention à un fait divers horrible qu’à un acte ordinaire de gentillesse. Les médias – qu’ils s’agisse des médias traditionnels ou des médias sociaux – connaissent ce biais et l’exploitent allègrement. Nous sommes donc doublement surexposés aux mauvaises nouvelles : nous en voyons plus, et nous y prêtons plus d’attention. Ce qui peut expliquer que nous ayons une piètre idée de la moralité de nos contemporains.

La deuxième explication, moins évidente, c’est le biais positif de notre souvenir. Quand nous lisons un fait divers, nous ne le comparons pas aux faits divers tout aussi horribles que nous aurions pu lire il y a vingt ans. Au contraire, nous comparons le présent à un passé idéalisé, dont nous avons expurgé les aspects les plus négatifs. Notre mémoire est nostalgique : nous croyons nous souvenir d’un passé que nous n’avons jamais connu, où l’on soulevait courtoisement son chapeau pour se saluer dans la rue…

Le déclin moral est donc bien un mythe. Mais un mythe qui peut avoir des conséquences réelles. D’abord, parce que, en 2015, les trois quarts des Américains estimaient que « lutter contre la faillite morale du pays devrait être un des sujets les plus prioritaires pour le gouvernement ». On peut parier que le même sondage, en France, donnerait des résultats comparables. Allouer des ressources rares à la résolution d’un problème imaginaire n’est pas de bonne politique. Ensuite et surtout, parce que la perception de déclin moral peut modifier nos comportements. Si nous croyons que nos contemporains sont de moins en moins fiables, nous leur ferons de moins en moins confiance. Or la confiance que nous avons en autrui est une condition essentielle de notre bien-être, et plus largement de la santé économique de notre pays.

Mastroianni et Gilbert nous rendent donc un réel service en tordant le cou à un mythe tenace. Non, les jeunes ne sont pas dépourvus de sens moral. Non, ce n’était pas mieux avant. Non, tout ne fout pas le camp. Qu’on se le dise !


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