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Les enseignements du docteur Raoult pour le management

Publié le mardi 28 avril 2020 . 6 min. 04

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La crise du Covid a donné lieu à beaucoup de débats étonnants. L’un d’eux mérite qu’on essaie d’en tirer une leçon de management : c’est la controverse qui a éclaté entre les partisans et les adversaires du professeur Raoult.

Rappelons les faits. Alors que l’épidémie fait rage, le professeur Raoult, qui dirige l’IHU de Marseille, annonce qu’un traitement à base d’hydroxychloroquine, un antipaludéen, produit d’excellents résultats. Il se fonde d’abord sur un échantillon d’une vingtaine de patients, puis, le 11 avril, sur une deuxième étude qui concerne cette fois 1061 patients. Dans les deux cas, ses détracteurs lui reprochent de ne pas avoir suivi les procédures normales d’étude, et en particulier de ne pas avoir utilisé de groupe témoin, ce qui, à leurs yeux, ne permet pas de conclure quant à l’efficacité du traitement.

Je ne vais pas rentrer dans une discussion sur l’efficacité d’un traitement médical ; ni sur les méthodes en infectiologie – que je laisse à de plus compétents que moi. Mais ce qui est passionnant dans cette affaire, c’est l’argumentaire de Didier Raoult. Car cet argumentaire fonctionne : il convainc des dizaines de leaders politiques de premier plan, et des millions de Français, si l’on en croit les sondages. Et parce que cet argumentaire est à peu près le même qu’utilisent beaucoup de managers dans leur pratique quotidienne.

Que dit, en effet, Didier Raoult ? Ses arguments, tels qu’ils ressortent de ses interventions dans les médias, peuvent se résumer à trois grands messages.

Bien qu’il soit professeur et chercheur, et qu’il se présente parfois comme un « épistémologiste », Raoult revendique haut et fort la posture du praticien, pas celle du chercheur. « Le médecin peut et doit réfléchir comme un médecin, et non pas comme un méthodologiste. » Cette posture pragmatique est justifiée par l’urgence, bien sûr : on n’a pas le temps, quand des gens meurent, de se perdre en débats méthodologiques.

Mais au-delà de l’urgence, Raoult en fait point de principe : l’observation suffit. Pour lui, « le domaine des maladies infectieuses aigües, c’est quelque chose d’assez simple » ; « Dans les maladies infectieuses, c’est extrêmement facile de mesurer si le microbe disparaît ». Bref, pas besoin de méthodes compliquées : si on veut savoir ce qui marche, il suffit d’avoir du bon sens. C’est l’argument d’observation.

Bien sûr, si c’était si simple, tout le monde devrait être d’accord avec lui. Pourquoi n’est-ce pas le cas ? Là, Raoult ajoute un argument d’autorité. Il sous-entend que ceux qui ne partagent pas son avis sont des aigris ou des incapables, des gens qui sont « devenus des contrôleurs de ce que font les autres ». Il sous-entend, au passage, que c’est l’industrie pharmaceutique qui manipule ses détracteurs, sujets à de nombreux conflits d’intérêts. Pour marquer sa différence, il n’hésite pas à déclarer « dans mon monde, je suis une star » (ce qui est d’ailleurs exact), ou à reprendre un journaliste dont il n’apprécie pas les questions en lui disant : « Vraisemblablement, vous ne comprenez pas du premier coup ». 

Afficher son pragmatisme, tirer les leçons de simples observations, et utiliser l’argument d’autorité, c’est ce que nous faisons bien souvent quand nous sommes face à un problème managérial. Prenons un exemple. Si je suis directeur commercial et que les ventes fléchissent, que faire ? Argument pragmatique : j’ai une idée, issue de mon expérience :  j’augmente la part variable de la rémunération de mes vendeurs ! Si je constate alors que les ventes repartent, argument d’observation : vous voyez bien que ça marche ! Et enfin, argument d’autorité : j’ai eu raison ; et la prochaine fois, mon intuition sera aussi la bonne.

L’erreur que je commets ici est le miroir du raisonnement de Didier Raoult. D’abord, parmi toutes les solutions possibles à mon problème, j’en choisis une seule, issue de mon expérience. Est-ce la seule, ou même la meilleure ? je ne me pose pas la question. L’urgence sert d’alibi.

Ensuite, quand j’observe que « ça marche », je ne me demande pas si ça marche vraiment. De nombreuses raisons peuvent me donner cette impression à tort : la plus évidente, c’est la réversion vers la moyenne. Après un mauvais mois de ventes, il y a des chances que les choses s’améliorent ; de même qu’après un mois exceptionnel elles vont probablement aller moins bien. Là où je vois le résultat de mes actions, il n’y a peut-être qu’un phénomène spontané. Qui plus est, mon raisonnement ne tient pas compte des autres conséquences de ma nouvelle politique de rémunération – ce qu’en médecine on appellerait les effets indésirables.

Enfin, quand je fais de ce succès un argument pour renforcer ma crédibilité personnelle, je sape toute possibilité pour mon organisation d’avoir un débat rationnel sur ce qui marche et ce qui ne marche pas. Dans une tribune, le professeur Philippe-Gabriel Steg écrivait, à propos de Didier Raoult : « refuser la méthode expérimentale, la vérification, la réplication, c'est revenir dans le passé à l'époque des certitudes mandarinales, où l'autorité et l'intuition du patron valaient preuves ». 

Cette époque, beaucoup d’entreprises y vivent hélas encore : leur décisions sont eminence-based, et non evidence-based, pour reprendre les termes de Pfeffer et Sutton. Etre évidence-based, c’est s’appuyer sur la science, quand elle existe, et la recherche en management sert à ça. C’est aussi faire de vraies expériences, où l’on mesure l’effet propre d’une intervention – notamment en ayant des groupes témoins. C’est surtout, refuser les arguments d’autorité : ce n’est jamais parce qu’on est le patron qu’on a raison.

En management comme en médecine, c’est comme cela qu’on prend les bonnes décisions.


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