Comment mieux articuler les entreprises avec la recherche publique ? Quelques exemples.
Longtemps le commissariat à l’énergie atomique aura été la maison mère du groupe CEA Industrie qui allait devenir Areva puis Urano. La R&D à la tête des activités industrielles, c’était un peu le monde à l’envers. Sauf que c’était bien l’activité de R&D du CEA qui avait fait industrie.
Des chercheurs de l’Inserm découvrent une propriété étonnante du corail. Il est biocompatible et se combine merveilleusement avec l’os humain. Pour une fracture où manque un morceau d’os, il est possible de remplacer l’os manquant par du corail découpé à cette fin, puis implanté et vissé par le chirurgien. Deux ans plus tard, l’os s’est reconstitué : le morceau de corail a été mangé par l’os. Il n’y a plus qu’à retirer les vis. Les chercheurs de l’Inserm déposent un brevet, publient et… en restent là. Ils ont fait leur travail de chercheurs. Le brevet va dormir 10 ans sur une étagère avant qu’une chargée de mission de l’Anvar ne se dise que ce n’est pas acceptable, cherche et trouve des médecins entrepreneurs pour exploiter le brevet. Une entreprise est créée, se développe avant d’être cédée.
A l’occasion d’une conférence, un chercheur universitaire en électronique croise un collègue chercheur dans un groupe industriel. Ils se connaissent depuis plusieurs années et se voient régulièrement, de congrès en congrès. Ce jour-là l’industriel évoque un problème concret qui le taraude. L’universitaire lui souffle alors de s’intéresser à un matériau un peu exotique qu’il a investigué et qui pourrait faciliter les choses. Deux ans plus tard, il apprendra que le groupe a basculé une partie significative de sa R&D sur ce matériau.
Le patron de la R&D d’une entreprise souhaite défricher un domaine nouveau. Il repère un laboratoire actif sur le sujet dans une grande école et propose une convention Cifre pour un thèsard. Il recrute le nouveau docteur à l’issue de sa thèse. Ce sera le début d’une longue collaboration entre cette entreprise et le labo public.
Un ingénieur, responsable d’une équipe de développeurs d’un groupe du Cac 40 est invité à venir visiter un laboratoire dans un organisme public de recherche voisin. On lui a annoncé que ce labo aurait développé une solution pour lever un verrou technologique sur lequel son équipe bute depuis trois ans. Il serait évidemment intéressé, mais il n’y croit pas. Il est d’une façon générale très critique sur la recherche publique qu’il juge comme trop fondamentale à son goût. Et quand la recherche publique vient vers l’appliqué, il parle de Rana (recherche appliquée non applicable). C’est peu dire qu’il arrive pour cette visite avec des a priori. Il vient à reculons et malmène ses interlocuteurs d’entrée de jeu en faisant sentir ce qu’il pense. Quand le directeur du labo public en vient à évoquer la solution technologique nouvelle qu’il a développée avec son équipe, sans trop en dire pour préserver la propriété industrielle, le visiteur désagréable hausse les épaules, soupire et ne veut rien entendre. Cette attitude, irrespectueuse et odieuse à la fois, va conduire le directeur du labo public, piqué au vif, à lui lâcher le morceau pour lui clouer le bec. Découvrant soudain le cœur de la technologie évoquée, le visiteur se fige, blêmit et reste sans voix pendant plusieurs minutes. Que sa posture initiale ait été sincère ou feinte, affichée par conviction ou par calcul, le visiteur repartira avec la connaissance de la solution et multipliera les remerciements et les excuses en guise de compensation.
Dans la diversité de ces situations, la recherche du CEA qui génère son aval, l’application d’une découverte, le conseil d’ami, les liens humains noués via une convention Cifre, le transfert bien involontairement gracieux vers une entreprise, la Recherche publique est dans son rôle. A quoi bon s’arcbouter pour arracher des retours financiers si c’est au final pour entraver l’accès du tissu économique au formidable dispositif de production de connaissances que constituent les chercheurs du public ?
Publié le mercredi 02 février 2022 . 4 min. 47
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de Thomas Durand
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