Cessons de faire croire que l’entrepreneur se met en quête des ressources dont il a besoin pour son projet entrepreneurial. C’est l’inverse, il fait avec les moyens du bord, avec les ressources qu’il trouve et il remodèle sans cesse son projet en conséquence. Il fait feu de tout bois. C’est un opportuniste.
Saras Sarasvathy a consacré ses recherches depuis la fin des années 70 à la démarche entrepreneuriale et aux spécificités du talent entrepreneurial. Ses observations contredisent les recommandations des manuels de management.
Elle met en évidence que les entrepreneurs ne croient guère aux études de marché et aux exercices de prévision d’un futur dont ils sont conscients qu’il leur échappe. Mais paradoxalement, ils croient pouvoir sinon contrôler, au moins suffisamment influencer le monde pour y insérer leur entreprise et leur offre novatrice. Ils ont l’humilité de ne pas tenter de prévoir le futur du monde, mais se croient capables de l’influencer ! Ils ont confiance en eux-mêmes plus que dans les études et les projections.
Au cours d’une réunion de travail que j’animais au sein d’un grand groupe avec l’équipe des cadres de la stratégie et du développement, j’avais introduit la différence majeure entre la prévision (dire ce que le futur sera) et la prospective (s’efforcer de décrire les futuribles, c’est-à-dire les futurs possibles) pour alimenter la réflexion stratégique, ce que dans un problème au jeu d’échec on appellerait « gagner en trois coups contre toute défense ». Le directeur du développement du groupe est alors intervenu, déboussolé : « mais vous savez notre direction générale attend de nous des prévisions fiables, pas des scénarios tous incertains ! ». Nous étions au cœur du sujet. La prévision rassure. Pour sa part, le startupper s’en moque.
Mais Saras Sarasvathy nous en dit plus. Sa théorie de l’effectuation va encore plus à rebours de ce que les manuels de management recommandent. Plutôt que de recenser les ressources et compétences dont ils devraient avoir besoin pour mener à bien leur projet, de les consigner dans un plan puis de chercher ces ressources et d’y accéder pour les mobiliser, les entrepreneurs font avec les ressources qu’ils trouvent dans leur environnement immédiat, en tâtonnant, en expérimentant. Ce sont des opportunistes, mais d’une bonne espèce. Ils font avec les moyens du bord. Ils tentent d’en tirer le meilleur plutôt que de partir dans une quête organisée mais couteuse des meilleures ressources souhaitables.
Mieux, leur projet va évoluer en fonction des ressources rencontrées et ils s’en accommodent. En ce sens, ils ont compris avant les autres le concept d’agilité. Mieux encore, ils tentent d’embarquer les acteurs qu’ils rencontrent et qui peuvent contribuer à leur projet. Ils sont flexibles et opportunistes jusque dans la construction d’une coalition qui partage les ressources accessibles pour co-créer et co-construire. Chacun amène au pot ce qu’il peut et ce qu’il est prêt à engager, en étant conscient qu’il peut le perdre et en décidant qu’il peut se le permettre.
Nous sommes loin de l’entrepreneur calculateur qui élabore une vision, construit un business plan et le met en œuvre méthodiquement.
Publié le mardi 19 décembre 2017 . 3 min. 33
Les dernières vidéos
Stratégie
Les dernières vidéos
de Thomas Durand
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES