C’est la mesure phare, si ce n’est en contenu du moins en termes de coût budgétaire, du plan de relance annoncé le 3 septembre par le gouvernement : une baisse de 20 milliards, étalée sur deux ans, des « impôts de production ». Une somme hétéroclite de taxes diverses pesant sur les entreprises qui reçoivent ce cadeau au nom de la nécessité de renforcer leur compétitivité et de l’incitation à investir en France. De fausses raisons qui cachent un pur choix idéologique libéral. Que le gouvernement entend faire payer par l’Europe sous le couvert du coronavirus.
Les impôts de production représentent un agrégat de prélèvements très différents dont la particularité est de peser sur le processus de production, avant même de savoir si celui-ci sera rentable ou non pour l’entreprise (contrairement à l’IS, l’impôt sur les sociétés, qui porte sur les bénéfices). On peut, grossièrement, les regrouper en trois grands blocs. Il y a des taxes portants sur la main d’œuvre parmi lesquelles on trouve des choses aussi différentes que le versement transport, une taxe sur les salaires, le forfait social, etc.
Un deuxième grand bloc concerne le bâti, c’est l’équivalent de la taxe foncière et de la taxe d’habitation pour les entreprises. Enfin, reste un dernier groupe mêlant des impôts aux assiettes très hétérogènes dont la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, principale cible du gouvernement.
Ces taxes font l’objet depuis longtemps d’une attaque en règle du patronat. Pour quelles raisons ?
Elles posent trois grands problèmes aux entreprises. D’abord, la France est le pays dans lequel elles sont quasiment les plus élevées en Europe équivalents à environ 3,5 % du PIB en 2019.
Ensuite, nous sommes le seul pays à intégrer dans ces impôts de production une taxe sur le chiffre d’affaires, la C3S. Ce qui provoque un « effet cascade » : le fabricant de roues de vélo la paie sur son chiffre d’affaires avant de les vendre au fabricant de cadres qui la paie sur son chiffre d’affaires avant que le vendeur de vélo ne la paie également sur son chiffre d’affaires ! Cela joue défavorablement sur la compétitivité des produits.
Enfin, un impôt sur la valeur ajoutée comme la CVAE apparaît très inégalitaire. Comme le soulignent les experts du Conseil d’analyse économique parmi les 10 % d’entreprises qui ont la plus forte valeur ajoutée, un quart ont un taux de CVAE inférieur à 0,7 % et un quart un taux supérieur à 1,4 %. L’industrie est, dans ce cadre, plus touchée que les services.
Ces différentes caractéristiques justifiaient d’ouvrir un débat sur ces taxes. Le gouvernement a préféré de ne pas faire de détails et tailler à la hache : 20 milliards de baisse étalée sur deux ans justifiant son choix derrière l’argumentation, fallacieuse, selon laquelle ces baisses sont bonnes pour la compétitivité et encourage la relocalisation d’activités en France.
Aucune étude empirique ne montre de lien entre CVAE et localisation des entreprises. A l’inverse, si l’on met en relation impôts de production et l’indice de compétitivité des pays tel qu’il est calculé par le Forum de Davos, on ne trouve pas de lien clair entre les deux variables.
Le problème que posent ces taxes est largement surévalué par le patronat et le gouvernement. Car si la France est en tête pour le niveau de ces prélèvements, elle l’est également pour celui des subventions à la production : si la France taxe beaucoup, c’est pour redistribuer ensuite beaucoup aussi.
Par ailleurs, comme n’ont pas manqué de le souligner les ONG écologistes, la baisse généralisée des impôts de production entre en contradiction avec l’objectif écologique affiché par le gouvernement. Aucune condition environnementale n’est attachée à cette baisse, une bonne aubaine pour les entreprises polluantes.
On en a la confirmation lorsque l’on tente de mesurer les gains que vont faire les différents secteurs de l’économie du fait de la suppression partielle de ce type de taxes. Dans une note publiée début juillet 2020, les experts du Conseil d’analyse économique montrent ainsi que les trois premiers secteurs les plus favorisés sont, dans l’ordre, la production d’électricité et de gaz, les industries extractives et la finance ! Non seulement l’aspect anti écologique est évident mais justifier la suppression de ces taxes par la nécessité d’encourager la compétitivité de l’industrie apparaît erroné. Certes, l’industrie manufacturière arrive tout de suite derrière, mais au même titre que le commerce, un secteur abrité de la concurrence internationale.
Enfin, cette baisse des recettes fiscales n’est compensée par aucune autre ressource. Certes, une partie de la baisse se finance elle-même : toutes choses égales par ailleurs, supprimer des impôts de production augmente les bénéfices, taxés par l’IS. Mais une partie seulement. Le gouvernement n’hésite pas à s’engager dans cette stratégie de creusement du déficit budgétaire car, en ce moment, c’est la Banque centrale européenne, qui finance les déficits publics. Bref, c’est l’Europe qui paie !
Quel que soit l’angle retenu, celui du poids de ces taxes, de la compétitivité, de l’écologie ou du budget, rien ne vient justifier le choix du gouvernement.
Publié le mardi 22 septembre 2020 . 5 min. 08
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