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La France serait devenue le pays du ras-le-bol fiscal. Il est vrai qu’avec 1038 milliards d’euros en 2017, la somme des impôts et des cotisations sociales payés en France, ce que l’on appelle les prélèvements obligatoires, a dépassé la barre symbolique des 1000 milliards. Un chiffre impressionnant, équivalent à 45,3 % du PIB, de la richesse produite cette année là. C’est, tout simplement, le plus haut niveau jamais atteint en France depuis le début du XXe siècle, c’est-à-dire depuis la mise en place de notre système d’imposition moderne ! Selon les données de l’OCDE, c’était, en 2017, le plus élevé au monde.

Comment en est-on arrivé là ? Prenons un peu de recul historique.

Les prélèvements obligatoires représentaient autour de 11-15 % du PIB au début du XXe siècle. La crise des années 1930 et, surtout, celle des années 1970-1980, ont fait franchir des paliers importants au prélèvement fiscal. Le ralentissement du début des années 1990 et la crise des subprimes ont ajouté des marches supplémentaires. L’histoire nous dit donc que ce que la puissance publique nous enlève de nos revenus est en fait intimement corrélé à sa capacité à nous soutenir dans les moments difficiles.

Et c’est plus vrai en France que dans les autres pays : selon les données de l’OCDE, avec des cotisations sociales équivalentes à 16,8 % du PIB en 2017 la France se classe en tête de l’ensemble des pays. On peut le confirmer en décomposant les recettes fiscales par type d’administration. L’essentiel de la progression en longue période tient aux besoins financiers de la protection sociale et, dans une moindre mesure, à ceux des collectivités locales.

D’où viennent les ressources fiscales des administrations publiques ? Les impôts en représentent un peu plus de 60 % et les cotisations sociales le reste. La TVA et la contribution sociale généralisée (CSG), les deux impôts les moins progressifs, constituent l’essentiel (un quart) de ce qui est payé par les ménages. Tandis que divers impôts à la production représentent le principal prélèvement sur les entreprises, loin devant l’impôt sur les sociétés, une exception française en Europe.

Au final qui contribue et dans quelle proportion ? On peut lire quelques fois l’argument selon lequel, quel que soit le prélèvement, ce sont toujours les ménages qui paient. Le raisonnement est simple : quand on taxe plus les entreprises, elles le font payer aux consommateurs en augmentant leur prix, aux salariés en contenant leur salaire ou aux actionnaires en diminuant les dividendes. La France qui dispose du taux de prélèvements obligatoire le plus élevé au monde devrait donc être la championne de l’inflation, de la faiblesse des salaires et de la distribution de dividendes. Or, quelle que soit la variable retenue, ce n’est pas le cas.

En fait, les entreprises (y compris les travailleurs indépendants) paient un peu plus de 70 % des cotisations sociales et les ménages le reste. Si l’on ajoute les impôts payés par chacun des acteurs, alors les ménages sont les premiers contributeurs fiscaux avec 59,3 % des prélèvements totaux en 2017 contre 40,7 % pour les entreprises. Si les Etats généraux de la fiscalité souhaités par le Premier  ministre prennent la voie du souhait d’un rééquilibrage, la direction est tout indiquée.

Au-delà du niveau des impôts, le ras-le-bol fiscal se nourrit d’un sentiment d’injustice lié au fait que les plus riches et les grandes entreprises ne paient pas leur juste part et ont été les privilégiés de la politique fiscale. La suppression partielle de l’ISF et la baisse de la taxation des revenus du capital ramenée à un maximum de 30 % a diminué la capacité du système fiscal à réduire les inégalités. Dans le programme du candidat Macron, on pouvait lire que « au total, la réforme de la fiscalité du capital se fera à coût nul ». Elle coûtera en fait de l’ordre de 5 milliards d’euros en 2018. Au bénéfice de qui ? Les placements financiers représentent 90 % des patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros et 2 % pour ceux dont le patrimoine est inférieur à 7500 €…

Les données de la Commission européenne confirme une évolution de long terme du système fiscal français vers une moindre taxation des plus aisés. Le taux maximum d’imposition pour les revenus les plus élevés est ainsi passé de 59,1 % en 1995 à 50,2 % en 2017.

S’y ajoute les pratiques d’évitement fiscal. En 2016, l’Acoss, la caisse centrale de la sécurité sociale, avait estimé que le montant éludé par les employeurs s’établissait, au minimum, entre 2,2 et 2,6 % des cotisations sociales, soit de l’ordre de 8 à 10 milliards aujourd’hui. De son côté, la fraude aux impôts est aujourd’hui estimée en France dans une fourchette de 80 à 100 milliards d’euros par an.

Dernier élément. Si la fiscalité française est élevée, elle permet de réduire à proportion les inégalités de revenus « primaires » celles qui découlent des différences de salaires ou de retraites. Ainsi en 2017, selon l’Insee, pour une personne seule, avant impôts et cotisations sociales, les 10 % les plus riches gagnent en moyenne 22,4 fois plus que les 10 % les plus pauvres. Une fois les impôts prélevés et les cotisations sociales versés, le rapport n’est plus que de 1 à 5,6. 

La fiscalité sert également à combler les revenus des Français du bas de l’échelle. En 2015, 14,2 % des Français vivaient sous le seuil de pauvreté fixé à 60 % du revenu médian (1096 euros) : ils sont 22,3 % dans ce cas avant transferts fiscaux et sociaux.

Le politiste Vincent Tiberj a bâti un indicateur qui mesure depuis 40 ans les préférences des Français. Il montre pour 2018 un niveau de demandes sociales et de redistribution atteignant un pic historique.

En même temps qu’un sentiment diffus de ras-le-bol fiscal exprimé par une partie de la population, nous n’avons jamais autant attendu de la collectivité à laquelle nous appartenons. Il faudra bien trois mois de débat collectif pour réconcilier les deux.



Publié le vendredi 11 janvier 2019 . 6 min. 37

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