Xerfi Canal présente l'analyse d'Olivier Passet, directeur des synthèses économiques de Xerfi
L'union de puissances intermédiaires devait faire la force de l'Europe face à la mondialisation des échanges, face à la suprématie du dollar, face à la concurrence des puissances émergentes, face à l'instabilité financière : faire masse, tisser des échanges intenses, devenait aussi le moyen de préserver nos compromis sociaux dans le cadre de la mondialisation, d'organiser une sorte de cordon sanitaire dans un monde chaotique.
La lecture européenne de la crise est d'ailleurs profondément imprégnée de cette vision. Pour ses promoteurs, l'euro nous aurait protégé des secousses du monde. Sans l'euro, la crise, venue des autres, aurait été encore plus déstabilisante. Je ne veux pas ici discuter cette interprétation plus que contestable des choses, mais plutôt souligner à quel point cette vision de la crise nous désengage de toute forme de responsabilité mondiale. La valeur du projet européen n'est éprouvée par la plupart des commentateurs qu'à travers sa capacité à encaisser les chocs à moindre coût pour ses partenaires. Jamais n'est évoquée la possibilité que l'Europe, première puissance économique mondiale, soit partie prenante de la crise, voire en soit un facteur aggravant.
Or quelles sont les racines du dérèglement du système monétaire international à l'origine de la crise de 2007-2008 ? Le surendettement américain certes. Mais comment les Etats-Unis sont-ils devenus en toute impunité ce consommateur en dernier ressort du monde durant les années 2000. Ils le sont devenus parce que face à la demande gigantesque de liquidité et de réserves des émergents, l'Europe n'a pas su et pas voulu faire de l'euro une véritable monnaie internationale à part entière aux côtés du dollar. Résultat, les Etats-Unis se sont surendettés en toute impunité et sans la moindre sanction des marchés.
Quelles ont encore été les racines de la crise de 2007-2008 : l'état de surcapacités chroniques dans lequel a vécu l'économie mondiale depuis plus de 15 ans, qui a fait le lit de déséquilibres insoutenables des balances des paiements, les fameux « global imbalances ». Or cette situation de surcapacités a été aggravée par la préférence pour l'épargne de la vieille Europe. L'Europe, corsetée par ses règles, est depuis longtemps une zone dépressionnaire qui s'est mise en marge du formidable mouvement de croissance mondiale. Elle est donc partie prenante la déflation larvée qui gangrène peu à peu l'économie mondiale.
Dans ce contexte, il faut aussi évoquer la concurrence fiscale à laquelle se livrent les pays européens. Cette concurrence est toujours vue sous l'angle des dégâts qu'elle cause sur nos économies et sur le financement des biens publics. Or avec l'échec européen sur le terrain de l'harmonisation fiscale, la norme d'un IS à 20 % semble s'imposer peu à peu. Et pour compenser le manque à gagner, les pays tendent à surtaxer les bases non délocalisables, notamment le travail le moins qualifié, aggravant le chômage. Pendant ce temps, aux Etats-Unis le taux effectif d'imposition des sociétés est de l'ordre de 40 %. Au Japon ce taux est de 36 %. Mais face à l'offensive européenne, ces taux font de plus en plus débat, le Japon envisage à terme d'abaisser son taux à 25 %. Autrement dit, en ne sachant pas apaiser sa guerre fiscale interne, l'Europe exporte la concurrence en dehors de ses frontières, participant à la déflation fiscale et sociale du monde.
La gestion de la crise n'a fait qu'aggraver la dérive européenne. A coup d'écrémage industriel brutal de la périphérie et de déflation salariale, l'Europe se transforme peu à en plateforme de production servant ses intérêts néo-mercantilistes de l'Allemagne. Zone d'excédent courant record et de dépression de la demande interne, l'Europe ne freine pas seulement sa propre reprise. Elle fragilise la reprise de l'économie mondiale.
Au final, à force d'envisager son projet en fonction de ses intérêts propres, l'Europe bute en permanence sur la divergence des intérêts qui la compose. C'est toujours le danger de l'autoréférence. Sans-doute gagnerait-elle à considérer aussi son projet au regard de sa responsabilité mondiale. Une maturité politique qu'elle n'a pas mais qui la conduirait sans doute à revoir l'ordre de ses priorités.
Olivier Passet, Comment l'Europe déstabilise l'économie mondiale,une vidéo Xerfi Canal
Publié le jeudi 22 mai 2014 . 4 min. 28
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