Inflation ou déflation, quel est le pire des maux ? En théorie, il n’y a pas débat. La déflation est le mal absolu, d’un point de vue historique comme théorique. D’un point de vue historique, parce que le mot déflation est associé au souvenir de la crise de 29, prélude de la guerre et des totalitarismes. D’un point de vue théorique ensuite, parce qu’elle ouvre un cercle vicieux que on ne sait s’extraire. Dès lors que les agents anticipent des prix plus faibles demain, ils reportent leurs achats, auto-entretenant une baisse cumulative de la consommation et de la production. Et face à cette préférence pour la liquidité, la baisse des taux ne constitue plus un remède. Elle bute sur le plancher des taux zéro. Quelle que soit la monnaie émise, les taux d’intérêts réels demeurent en zone positive. Les agents préfèrent épargner sous forme liquide que de consommer ou investir. C’est bien pour cette raison qu’historiquement la sortie de ces épisodes s’opère sur un mode catastrophique : lutte sociale, guerre … qui produisent une intervention massive de l’État. L’inflation, pour sa part relève plus du poison insidieux. Elle biaiserait les choix d’investissements minant l’efficacité. Mais on lui prête aussi quelques vertus curatives, notamment sur le front du surendettement. Et surtout, les banques centrales connaissent le remède de cheval pour y mettre un terme. Rationnement brutal de l’offre de monnaie, renchérissement du crédit, chômage de masse, à l’instar de ce qui s’est passé aux États-Unis au début des années 80. La thérapie de la purge fonctionne, à un coût social prohibitif, mais elle fonctionne. Et même la forme le plus extrême de l’inflation, « l’hyper inflation » a ses remèdes.
Faut-il dès lors voir dans l’épisode d’inflation qui se dessine, un moindre mal, après une décennie que l’on caractérisait comme étant en déflation rampante ? Répondre à cette question sur la base de nos représentations stylisées est trop réducteur. L’histoire ne repasse pas deux fois et les déflations ne se ressemblent pas. Celles du XIXème alternent de grandes phases d’excès d’offre et d’excès de demande, qui se régulent brutalement, sur fond d’une concurrence rude, de très forte flexibilité nominale et sans l’effet modérateur d’institutions protectrices des salaires et de l’emploi. Les racines de la grande déflation des années 30 demeurent quant à elles encore débattues. Elle s’emboîte sur une bulle puis un effondrement des prix d’actifs de la crise de 29 selon des enchainements monétaires qui font encore débat entre ceux qui incriminent l’insuffisance de l’offre de monnaie et ceux qui surlignent plutôt le rôle de la dérive du crédit des années 20 dans la formation de la bulle.
Et force est de constater alors que les années 2010 offrent un scénario de déflation larvée tout à fait singulier. Derrière cet épisode, l’intensification des pressions concurrentielles, l’ouverture des marchés à des pays à bas coût, un désendettement privé après 2008 purgeant les excès des subprimes, et un contexte paradoxal de très forte expansion monétaire. Cet effacement de l’inflation a eu l’avantage de pacifier le conflit de partage des revenus. Elle s’est produite sur fond de baisse de prix sur toute une série de produits, à fort contenu numérique notamment et à obsolescence rapide, qu’il faut renouveler à haute fréquence. Cette déflation rampante n’a de fait produit ni attrition de la demande. Ni dégénéré en spirale catastrophique. Le cocktail hyperliquidité, taux zéro, croissance faible mais positive, rentabilité stable, a juste constitué, la martingale idéale pour doper les prix d’actifs. Les détenteurs de capitaux ont pu s’enrichir sans bras de fer brutal avec les salariés, piégés dans le statuquo sur les prix et les salaires. En gros nous avons vécu après 2008, des symptômes déflationnistes, sans ses complications extrêmes, avec comme dans un film ralenti… une montée insidieuse des autoritarismes, et une cristallisation du mécontentement social face à l’enrichissement phénoménal de certains. Et l’on peut avoir le sentiment que c’est une guerre, une fois encore qui interrompt le processus.
Face à ce régime très particulier, comment considérer la résurgence de l’inflation ? Serait-elle un rééquilibrage salutaire aux vertus régulatrices ? Comme le soulignent Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno, sur le blog de l’OFCE, si l’on s’extrait d’une lecture purement monétaire et macro-économique du phénomène, l’inflation s’enracine toujours dans des déséquilibres d’abord localisés de l’offre et de la demande sur certains segments. L’épisode qui s’engage ne déroge pas à la règle, et les déséquilibres sont aujourd’hui largement de nature structurelle. La transition écologique et la révolution digitale, engagent en effet une profonde reconfiguration des chaînes de valeur. Le conflit ukrainien ne fait qu’exacerber les frictions inhérentes au caractère inachevé de cette recomposition de l’offre. Le rationnement des produits fossiles, la montée lente des sources de substitution, la mobilisation massive de nouveaux matériaux, les besoins considérables de certains secteurs comme l’automobile, en pleine reconfiguration, génèrent de très fortes tensions, dont la dynamique des prix est tout autant le symptôme que la solution. Or le nœud de résolution d’une inflation de ce type est l’investissement, pour réduire les goulets d’étranglement. En cela, vouloir juguler trop brutalement l’inflation par le corset monétaire serait totalement contre-productif, puisque l’inflation est aussi le facilitateur de la recomposition nécessaire de l’offre.
Publié le mercredi 27 avril 2022 . 6 min. 02
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