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Si l’Europe devait se fixer une mission fédératrice, ce serait celle de la reconquête du grand marché… disons plutôt des promesses du grand marché. Non pas que l’UE et encore moins la zone euro dans son ensemble souffrent d’un déficit chronique et inquiétant de ses échanges avec le reste du monde, où d’un taux de pénétration anormalement élevé. Bien au contraire. Leur excédent des transactions courantes sont très largement positifs. La reconquête du grand marché, n’est donc pas celle de la compétitivité.


Les deux promesses du grand marché


Revenons alors sur les promesses du grand marché, à ses origines, c’est-à-dire au moment du marché commun. C’était d’abord celle de créer un vaste marché de consommation et de débouchés sans entrave pour les produits européen. Un marché de 512 millions d’habitants aujourd’hui qui dépasse celui des États-Unis de 325 millions d’habitants. Cette volonté de faire masse, de défragmenter les marchés, avait pour but de renforcer l’offre européenne en jouant sur les deux avantages de la suprématie américaine : 1/ de renforcer les économies d’échelle ; 2/ de booster le développement de l’innovation en permettant la diffusion des nouveaux produits et des nouveaux standards sur un vaste marché. Le grand marché, c’était ainsi une promesse de pouvoir de marché accru pour les entreprises européenne au plan mondial.


Le grand marché c’était ensuite la possibilité de piloter l’espace européen comme une économie fermée. Les économies européennes prises une à une, on le sait, sont des économies très largement ouvertes, d’autant plus pénétrées par les importations qu’elles sont de petites tailles. Et ce haut niveau d’ouverture était le principal argument qui déqualifiait l’efficacité des politiques de relance budgétaire de type keynésien. Or si l’on croit à la fiction du marché unique, le commerce de l’UE, ce n’est plus 42 % de produits importés rapporté au PIB, chiffre qui incorpore le commerce intra-européen, mais  ’est 16,2% d’importations provenant des pays en dehors de l’UE. In fine, l’UE n’est pas plus exposé à la concurrence internationale que les trois principaux grands marchés du monde que sont la Chine, l’Inde et les États-Unis. C’était cela aussi la promesse du grand marché. Les économies européennes, non pilotables budgétairement au plan national, le redevenaient au plan européen.


Pour une politique industrielle européenne


Sur les deux tableaux, il est clair que le projet a déçu. Le grand marché de débouché a viré, on l’a dit de multiples fois, en grand marché de mise en concurrence des facteurs de production. Et les gains escomptés se sont polarisés sur les pays qui disposaient des avantages concurrentiels et géographiques les plus robustes. A défaut de se mettre en coopération budgétaire, les pays se sont mis en concurrence sociale et fiscale. Dans la fièvre idéologique des années quatre-vingt Bruxelles a succombé à l’idolâtrie de la concurrence, comme alpha et oméga de l'innovation, de la croissance, du plein emploi et de la convergence.


Clairement, l’éclosion d’une industrie renforcée, la prise de leadership dans certains domaines de pointe ne jaillissent pas spontanément de l’avènement d’un marché sans barrière tarifaire. Pour que le grand rêve de leadership productif européen voit le jour, chacun peut pressentir qu’il faut un coup de pouce étatique. Mais il ne suffit pas de dire budget européen, à la façon d’un macro-économiste. Plus de dépenses au plan européen, cela ne fait pas nécessairement une stratégie productive. Ce qu’il manque véritablement à l’Europe, c’est une politique industrielle capable d’orienter les regroupements pertinents et de transcender les intérêts nationaux, à l’instar de ce qui s’est produit dans l’aéronautique. Les domaines propices à ces regroupements stratégiques et couvrant des intérêts communs ne manquent pas, que ce soit dans le domaine des transports, pour relever en commun le défi de l’électrique et de l’autonomie, dans l’énergie, pour opérer un renouveau mix de façon coordonnée, dans le numérique pour préserver notre autonomie, dans le militaire etc.


Au-lieu de cela, que voit-on ? Des autorités de la concurrence qui renâclent face au rapprochement d’Alstom et Siemens, dans le ferroviaire. Et ce n’est qu’un cas emblématique parmi d’autres. Plutôt que de fédérer une industrie européenne menacée d’éviction au plan internationale, c’est le catéchisme du risque d’abus de position dominante qui s’impose. Et c’est pourtant par le biais d’une politique industrielle coordonnée au plan européen, cherchant à tirer parti des économies d’échelle et des effets de réseau au plan européen, que le projet européen pourrait sortir de l’ornière.


Publié le vendredi 25 janvier 2019 . 5 min. 22

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