Jusqu’à quand les entreprises pourront-elles continuer à gonfler leurs profits en jouant sur les hausses tarifaires, entretenant de la sorte l’inflation ? La France ne fait pas exception en la matière. Ce syndrome que la presse anglo-saxonne dénomme « greedflation » et qui se perfectionne sous une forme plus perverse avec la « shrinkflation » semble aujourd'hui ne pas rencontrer de limites. Pourtant, en économie, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Et même si certains segments des chaînes de valeur disposent d'un fort pouvoir de marché, arrive un moment où le jeu concurrentiel reprend ses droits. Ce moment, c'est lorsque la chute des volumes et la mise en orbite de nouveaux concurrents détruisent les gains attendus d'une hausse de prix en termes de chiffre d'affaires.
La « greedflation » : pas une réalité uniforme
Pour essayer de cerner ce moment, il faut d'abord circonscrire le problème. La greedflation ne concerne ni toutes les entreprises ni tous les secteurs. Si les profits du CAC40 volent de record en record, reflétant l'insolente santé financière de groupes de périmètre mondial, et notamment du luxe, ce n'est pas le cas de l'ensemble des entreprises implantées sur le territoire. Leur taux de marge augmente en moyenne au cours des derniers trimestres, mais demeure dans son couloir de fluctuation de longue période. Ce qui frappe en revanche derrière cette moyenne, c'est l'hétérogénéité des performances. À ce stade, trois grands secteurs se singularisent par des taux de marge hors norme : 1/ Le secteur de l'agroalimentaire 2/ Le secteur de l'énergie 3/ celui du transport, de marchandises ou de personnes. Le point commun de ces secteurs, c'est qu'ils ont d'abord subi de plein fouet la hausse des cours des matières premières, qu'ils ont répercutés largement sur leurs tarifs dans un mode défensif dans un premier temps. Et c'est parce qu'ils rechignent à revenir en arrière maintenant que les cours refluent que leurs marges s'envolent. C'est cet effet de cliquet qui projette leur profitabilité à des sommets.
Le cas des IAA
Le secteur des IAA est aujourd'hui celui qui est le plus sous le feu des projecteurs. Alors que leur taux de marge s'érodait tendanciellement sous la pression des grands distributeurs, les professionnels du secteur hésitent à rétrocéder la manne récente qui fait office de bouffée d'oxygène et compense aussi les déboires passés. Mais il suffit de scruter de plus près l'évolution récente des volumes d'achat du côté des consommateurs, une débâcle qui touche de plein fouet les grandes marques, pour saisir que le jeu touche à sa fin. D'autant plus que les négociations ont été avancées en octobre sous pression du gouvernement.
Du côté des transports, les mêmes mécanismes inertiels sont à l'œuvre. Les prix demeurent bloqués à haut niveau et ne restituent pas les baisses récentes des prix de l'énergie. Ces secteurs ont de plus bénéficié du retour brutal de la demande et des pénuries ainsi engendrées :
• Le cas du fret maritime est emblématique avec les profits phénoménaux affichés l'an dernier par CMA-CGM, plus de 23 milliards d'euros... du jamais vu. Mais là encore, les arbres ne montent pas jusqu'au ciel. Les ingrédients qui ont permis les profits colossaux en 2021 et 2022 ont disparu. Le retournement est brutal en 2023, notamment sur les deux axes phares du transport maritime conteneurisé d'Asie-Europe (notamment en sortie de Chine) et transpacifique.
• Autre créneau commercial sous les feux de l'actualité, le transport ferroviaire de passagers. Les profits record de la SNCF en 2022 ont fait sensation. Et les écarts tarifaires du transporteur français avec ses homologues allemand ou italien ont été largement commentés. Mais là encore, la loi de gravité des volumes approche. La phase de rattrapage de la fréquentation est maintenant achevée. Et la société ne pourra plus compter sur la même impunité en matière de sensibilité des volumes aux prix que lors des deux dernières années. Idem concernant le transport aéronautique, où là encore, la normalisation des volumes est un processus achevé.
Énergie et luxe : des exceptions notables
Certes, l'énergie demeure un domaine à part. En dépit des efforts d'économie des utilisateurs, la demande est largement incompressible dans ce domaine. La hausse des prix sera subie et la demande d'abord soumise aux aléas climatiques. Le luxe fera probablement aussi exception, s'adressant à des cibles de consommateurs peu sensibles aux prix.
Mais dans la plupart des domaines, les entreprises ne pourront échapper au fait que la contrainte de revenu se resserre sur les ménages. En somme, la greedflation approche de sa fin. C'est une bonne nouvelle pour les consommateurs, mais un gros risque de déconvenue pour les marchés boursiers.
Publié le mercredi 13 septembre 2023 . 5 min. 13
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