Lorsque l’on met bout à bout les arguments qui plaident en faveur d’une « déglobalisation » du monde, la tendance paraît inéluctable. Et la crise sanitaire n’a fait que renforcer un argumentaire qui s’allonge crise après crise.
Une déglobalisation focalisée sur les échanges de marchandises
Derrière cette idée, il y a d’abord le constat que la dynamique du commerce mondiale de biens, issue d’une explosion des échanges croisés entre les régions du monde s’est cassée depuis le milieu des années 2000.
Il y a ensuite le fait que le géant chinois ne se contente plus d’être un segment à faible valeur ajoutée dans les chaînes de valeur du monde. Le pays que l’on avait cantonné au rôle de pays-atelier, d’assembleur, n’est plus cette plaque tournante alimentant le jeu des importations/réexportations. Il investit aujourd’hui tous les stades de la fabrication et se déplace en gamme, gagnant en autarcie technologique.
Il y a encore la convergence des coûts unitaires qui amoindrit la quête de relocalisation vers les pays à bas salaire ; il y a la robotisation qui requalifie la localisation dans des pays à haut niveau à haut coût du travail ; il y a l’irruption de la visio qui réduit les besoins de mobilité professionnelle ; il y a la résurgence des barrières douanières et l’usage du dumping fiscal pour endiguer la perte de substance industrielle, dont les conséquences nocives sur l’innovation, l’emploi et les inégalités dans les pays les plus avancés ont coupé court à l’idée d’une mondialisation heureuse ; il y a la sensibilisation aux enjeux d’autonomie stratégique, que la crise sanitaire a exacerbée, mettant à jour l’hyperdépendance de nos économies à certains principes actifs dans le domaine du médicament ou aux semi-conducteurs dans l’industrie.
Il y a les effets inéluctables d’une transition écologique qui plaide en faveur de circuits plus courts et traçables, réhabilitant la sous-traitance rapprochée. Il y a le déplacement des énergies fossiles massivement importées vers les énergies renouvelables, par nature localisées sur le territoire, etc.
J’utilise ici sciemment cet effet cascade pour monter à quel point l’idée de la déglobalisation a le vent en poupe. Mais pour surligner aussi à quel point elle se concentre sur une seule dimension, celle des échanges de marchandises, au sein d’un processus beaucoup plus vaste : de montée en puissance des interdépendances qui engage les marchés financiers et toute la sphère des services. Dire que le processus d’intégration par les échanges de marchandise est arrivé à maturité est une chose. Dire que l’intégration de l’économie mondiale est en recul en est une autre.
Un contrôle du capital toujours plus internationalisé
Vu sous l’angle du marché des capitaux, que constate-t-on ? Certes, la renationalisation de la détention des dettes publiques peut faire illusion. Mais elle est le fait du rachat massif de titres par les banques centrales dans le cadre du Quantitative Easing en lien avec la crise. En revanche, concernant le contrôle du capital, l’intense activité en matière de fusions-acquisitions, même si elle est très volatile, ne dément pas la puissance du mouvement d’internationalisation des entreprises, comme le montre l’évolution du nombre d’opérations transfrontalières à échelle mondiale ou celle du nombre de filiales européennes implantées hors Europe par exemple. Et la concentration croissante entre quelques géants (Blackrock, Vanguard, etc.) consolide toujours plus l’emprise de la gouvernance actionnariale à échelle planétaire.
Les services et le travail désormais mondialisés
Vu sous l’angle des services maintenant, qu’observe-t-on ? Que la mondialisation se déplace. Avec le digital, la data est devenue le nouveau terrain où s’opère l’intégration du monde. Comment parler de « démondialisation » quand l’ensemble des données que nous produisons en tout point du globe devient la ressource première de géants planétaires… dont les économies dépendent de plus en plus en matière de commerce, d’information, de culture, de loisirs, de process productifs, etc.
Cette hyperconnexion permet certes de se passer de la mobilité des personnes pour interagir à distance, que ce soit en matière de négociation commerciale, de prestation de services ou de travail en équipe au sein des groupes multinationaux. Certains assimilent ce moindre besoin de mobilité des hommes et des activités à un symptôme de déglobalisation. C’est une erreur, car cette abolition des distances élargit les possibilités de mobilisation internationale du travail, accroissant encore davantage la pression concurrentielle. Car elle démultiplie aussi les possibilités de prestation de services à distance.
Les services étaient jusqu’ici réputés peu délocalisables et exportables, car engageant une relation interpersonnelle. Or, les plateformes et la robotique permettent précisément l’accès aux services sans passer par une distribution ou une prestation locale, à l’instar de Netflix qui court-circuite l’échelon de l’exploitation cinématographique en salle. À l’instar des robots chirurgicaux manipulables à distance. Autrement dit, le verrou à la globalisation que constituait la localisation nécessaire des services à proximité des clients est tout simplement en train de sauter, ouvrant un espace immense d’intégration du monde via les services.
Bref, la globalisation change de nature. Elle parachève sa mue immatérielle créant un nouveau degré de complexité et d’interdépendance dont la sphère physique ne rend plus compte.
Publié le lundi 1 mars 2021 . 6 min. 11
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