La face cachée de l'économie circulaire : leurre écologique et croissance
Publié le mercredi 21 juin 2023 .
5 min. 38
La notion « circulaire » paraît consubstantielle du développement durable. Elle fait partie de ces concepts valises qui embarquent notre pensée dans une sorte d’évidence que l’on ne discute plus. La circularité est forcément vertueuse. Il s’agit d’optimiser l’utilisation des ressources en prolongeant la durée de vie des produits, en favorisant leur réutilisation, puis le recyclage et la régénération des matériaux, minimisant ainsi les déchets. Rompre donc avec le modèle linéaire traditionnel, fondé sur un extractivisme débridé en début de chaîne, et s’achevant sur une montagne de déchets en sortie.
Optimisation économique
L’économie circulaire sonnerait ainsi le glas de l’obsolescence accélérée, nerf de la guerre du modèle consumériste prédateur de la planète. En subliminal, il porte aussi l’idée d’un circuit forcément court. Les matériaux vont être extraits des produits eux-mêmes et non plus des terres d’abondances lointaines. Le recyclage permettant de relocaliser sur le territoire la production de matériaux dont l’appareil productif a besoin.
Quelle est l’issue d’une telle transformation pour nos économies en termes de croissance ? La circularité a cela de magique en première analyse qu’elle permet au consommateur de satisfaire les mêmes besoins, à moindre coût et à moindre prédation sur l’environnement. Si sobriété il y a, c’est au stade de la production. Or, produire la même utilité à moindre coût, cela s’appelle « optimiser », fonction originelle du calcul économique. Et c’est d’ailleurs à ce titre que les grands cabinets de consulting se sont emparés de la thématique, survendant le concept comme une innovation, ouvrant de nouvelles potentialités de profit. Et lorsque les grandes entreprises de l’industrie ou du commerce veulent verdir leur image, c’est une des premières notions dont elles s’emparent.
L’effet rebond de la circularité
En dépit de cet engouement micro-économique, c’est pourtant bien une amputation du PIB qui est attendue au plan macro. Pour la bonne raison que le PIB se focalise sur le neuf. Le PIB mesure d’abord la valeur que les entreprises ajoutent sur le territoire à des matières brutes ou semi-transformées. Avec pour débouché l’achat de produits finis, de services ou de logements neufs par les ménages et les dépenses d’investissement productif et de constructions nouvelles par les entreprises. Le marché de l’occasion, que ce soit dans le domaine automobile, du logement ancien, du vêtement, etc., n’opère qu’un transfert de propriété et de revenu au sein d’un même secteur (dans un jeu à somme nulle). Il ne crée rien en termes de PIB, si ce n’est le service commercial ou financier nécessaire à l’échange (physique ou en ligne). C’est cet ajout de valeur que retient par convention la mesure du PIB, c’est-à-dire, essentiellement la marge commerciale que réalise le vendeur. Développer le circuit de l’occasion dans nos économies au détriment du neuf, ce serait donc perdre en production et ne gagner que sur les marges que dégagent les circuits de l’occasion, dans un jeu à somme négative a priori. Accréditant l’idée magique que l’économie circulaire produit une décroissance indolore : même utilité sociale avec moins de PIB et moins d’émissions.
Une illusion créée par l’abord trop restrictif et statique des transformations qu’opère l’économie circulaire. La circularité, ce n’est pas seulement le développent des marchés de la seconde main :
• C’est d’abord trier, séparer les matériaux, les transformer. C’est donc d’abord une industrie du recyclage énergivore à haut potentiel de croissance qui s’agrège au processus de production. Un secteur chargé aussi en robotique et en numérique pour opérer le tri à grande échelle, autre source d’émission donc.
• C’est ensuite engager des dépenses de R&D pour élargir le champ encore étroit des matériaux recyclables.
• C’est moins d’obsolescence programmée certes, mais ce sont des produits qui changent de main et de géographie, au fil de leur cycle de vie, mobilisant transport et logistique sur un rayon qui peut être très large.
• Ce sont des prix réduits à qualité supérieure, qui libèrent du pouvoir d’achat qui va se redéployer sur d’autres usages. Ce que l’on appelle l’effet rebond et qui génère de la croissance donc.
• C’est enfin une incitation pour les producteurs à monter en gamme, à se redéployer vers des produits à forte valeur, et à défaut de jouer sur l’obsolescence programmée, de miser sur le turnover accéléré des produits pour multiplier les opportunités de marger tout au long de la durée de vie du produit. Avec en arrière-plan un marketing hystérisant l’engouement pour les marques et pour le luxe. Sans parler des métiers de la réparation et de la remanufacturation ou de l’authentification…
L’enfer est pavé de bonnes intentions. Et s’il est un art où le capitalisme excelle, c’est bien celui de marchandiser les bonnes intentions. L’économie circulaire cherche la voie d’une décroissance et de la décarbonation soft. Récupérée par le système, elle devient un nouveau filon d’affaires au bilan carbone plus que douteux.
Téléchargez l'application
Les dernières vidéos
Energie, Environnement
Les dernières vidéos
d'Olivier Passet
LES + RÉCENTES
LES INCONTOURNABLES
-6494.jpg)
